Bon-a-tirer est une revue littéraire diffusant en ligne, en version intégrale des textes courts originaux et inédits écrits spécialement pour le Web par des écrivains actuels principalement de langue française.






 
LE JOUR OÙ J'AI DÉCOUVERT LA TRADUCTION ASSISTÉE PAR ORDINATEUR (UNE EXPÉRIENCE TECHNOLOGIQUE)

Je travaillais à Seneffe sous un grand parasol blanc avec quelques-uns de mes traducteurs, des lunettes de soleil sur le nez et les pieds nus dans le gravier. Nous étions au calme dans la cour carrée du Collège des traducteurs de Seneffe, il y avait là John Lambert, Marianne Kaas, Jovanka Sotolova, Mirko Schmidt et Yu Zhongxian, il y aurait pu y avoir aussi bien Kan Nozaki, Bernd Schwibs, Zeng Xiaoyang et Roberto Ferrucci (je pourrais d'ailleurs leur dédier ce texte, même s'il est à peine commencé et que je ne sais pas encore très bien où je veux en venir, mais c'est fait : je dédie ce texte à mes traducteurs, même si l'endroit — en toute fin de parenthèse — n'est peut-être pas très bien choisi). Bah… Je travaillais ainsi tranquillement avec mes traducteurs sur mon dernier livre, Faire l'amour, et nous étions en train d'évoquer certaines difficultés du texte quand Marianne Kaas m'a demandé de préciser ce qu'étaient des caissons lumineux (dans la phrase "une colonne de lumière qui montait à la verticale le long de la façade, composée de sept ou huit caissons lumineux superposés qui annonçaient la présence de bars à chaque étage du bâtiment"). Yu Zhongxian s'est soulevé au-dessus la table et a ouvert le guide du Japon que Marianne Kaas avait acheté spécialement à Amsterdam pour cette traduction (excellente initiative, de se munir d'une documentation spécialisée dans sa langue pour traduire un roman qui se passe au Japon), tandis que, sans un mot, je me levais et regagnais ma chambre. Je suis revenu presque aussitôt, mon petit ordinateur portable blanc à la main, que je venais de mettre sous tension, et, d'un doigt souple glissant sur le trackpad, j'ai ouvert quelques fichiers et j'ai retrouvé une photo que j'avais prise à Tokyo en juin dernier :

Tokyo, les caissons lumineux © J-Ph. Toussaint

Voilà, c'est ça, des caissons lumineux, ai-je dit (et c'est ça aussi la traduction assistée par ordinateur, ai-je pensé).

Tout de même, me suis-je dit, n'est-ce pas curieux de passer ainsi par l'image pour traduire un roman? Et pour l'écrire? Mais, dans le fond, ne le fais-je pas constamment, cela, quand j'écris, de m'inspirer de photos pour vérifier des vétilles et cueillir des détails, de me soulever de ma chaise pour mimer le geste que je suis en train de décrire, de le décomposer encore et encore jusqu'à je parvienne à le mettre en mots. Déjà, il y a quelques années, dans cette même paisible cour du Collège des traducteurs de Seneffe, non content de m'aider de l'image (le dessin, l'esquisse ou la photo), j'avais eu recours au geste — que dis-je, au mime, à la pantomime —, pour préciser quelque épisode ardu d'une partie de boules. À la demande d'un de mes traducteurs qui me demandait quelques éclaircissements sur le mouvement exact du narrateur à certain moment crucial de la partie de pétanque, je m'étais levé dans le gravier et j'avais commencé à mimer un passage particulièrement osé (non pas en termes stricto sensu sexuels d'ailleurs, mais qui, en guise de contorsions, n'avait sans doute rien à envier à Faire l'amour). Jugez vous-même. Fixant une dernière fois la donnée, légèrement à gauche de l'axe naturel de la pente, refaisant une ultime fois mentalement tout le parcours de la boule, je finissais par me soulever presque au ralenti dans le rond, et, dans le même mouvement synchrone, enveloppant, j'élevais le bras et lâchais la boule en lui donnant un ultime petit effet rotatif du poignet. Voilà ce que j'étais en train de mimer à mes traducteurs, qui me regardaient pensivement autour de la table en prenant des notes (qu'est-ce qu'il ne faut pas faire pour la traduction).

 

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