Bon-a-tirer est une revue littéraire diffusant en ligne, en version intégrale des textes courts originaux et inédits écrits spécialement pour le Web par des écrivains actuels principalement de langue française.






 
DIEU ET AUTRES PSEUDONYMES

Les sujets que nous avons abordés au fil de ces pages sont de ceux auxquels le Vivant ne fait même plus attention, tant ils sont ordinaires. Pourtant ce sont eux qui constituent en grande partie ce qu'il revendique comme son identité, cette vue de l'esprit qui devrait le distinguer de ses semblables.
   Ainsi nous avons eu le privilège de voir le Vivant comme il n'est plus capable de jamais se voir, dans sa nudité, et avons tiré une à une sur toutes les ficelles de son existence; et le Vivant s'est animé sous nos yeux comme la marionnette qu'il n'est pas loin d'être la plupart du temps.
   Identité.
   
C'est le mot à retenir ici.

Toute l'utilité du Guide a été de vous donner les clés de l'Identité Humaine de Base, celle qui se définit par le plus grand dénominateur commun, sachant qu'il n'y a en vérité pas grand-chose de nouveau au-delà de cette Identité de Base.
   Cela, le savons. Le Vivant, lui, ne l'admettra jamais de son vivant.
   Comme nous avons dit, son identité, espère-t-il, est ce qui va le distinguer de la grande masse des êtres humains, alors que nous la voyons au contraire comme un moyen d'intégrer cette masse. Là où le Vivant défend ce qui le distingue, nous avons davantage eu à cœur de cerner ce qui les rend semblables, plaçant les différences au second plan – car différences il y a et elles méritent d'exister, mais uniquement dans la mesure où elles ne prennent pas le dessus sur le reste, à commencer par la Glaise Originelle qui lie toute l'humanité.
   Or la Différence a acquis une valeur surfaite qui aveugle dangereusement les êtres humains. Vous constaterez d'ailleurs que la race, dans son état actuel, est surtout préoccupée par ces différences, et qu'elle n'hésite pas à recourir aux moyens les plus extrêmes pour les faire valoir, même lorsqu'elles sont des plus biscornues – même lorsqu'elles sont à l'antipode de toute définition rationnelle.
   Après avoir donc examiné les facteurs visibles de l'Identité Humaine de Base, et opéré un glissement vers le spirituel par le biais de l'humour, nous allons aborder le plus invisible des facteurs, pesant néanmoins d'un poids décisif dans la recherche identitaire. Car nous ne saurions honnêtement passer sous silence un des volets les plus rocambolesques de l'Aventure Humaine : La Religion.

Attention, frères et sœurs, nous foulons le plus dangereux terrain de tous!
   Guerres, paix, pactes, prises de pouvoir, renversements divers et révolutions variées, harangues, débats d'opinion stériles dans l'arène des idées galvaudées, et 24 000 autres faits répertoriés dans les médias du monde entier depuis que l'information existe…La panoplie complète des prises de tête standard tète la mamelle religieuse. Et jamais vous ne pourriez prétendre imiter parfaitement vos ex-semblables, si vous négligez l'étude de cet adversaire invaincu du Plaisir de Vivre!

Qu'est-ce que la religion lorsque nous la considérons de notre point de vue de morts? Un vide plein à craquer. Un Suprême Paradoxe.
   On appelle «religion» la manière de voir Dieu.
   Si l'on commence par préciser que nul vivant n'a vu Dieu, on montre à quel point il part handicapé, et comment, d'emblée, son raisonnement est boiteux. (D'ailleurs, on dit parfois de la religion qu'elle est une béquille…ça ne s'invente pas.)
   Dans quelles circonstances le vivant adopte-t-il une religion?
   Vous allez rire, mais c'est plus souvent la Religion qui lui tombe dessus, comme une tempête de neige ou un gros coup de chaleur, bref, comme quelque chose de lourd et d'encombrant, que le vivant accepte sous l'influence prépondérante de la famille où il a vu le jour. Aussi, de même qu'on ne choisit pas sa famille, on ne choisit pas de prime abord sa religion.

Autre paradoxe : la liberté pour le vivant, une fois atteint sa majorité et fait ses vaccins, de changer de religion. Ça se corse, non? Même si ça ne concerne qu'un faible pourcentage, il n'est pas rare, en effet, qu'un vivant, ayant respecté les principes d'une foi pendant des années, s'oriente vers un autre ensemble de principes, cette fois sous l'influence de l'amour de sa vie ou de certains amis qui lui veulent du bien.
   Que se passe-t-il après la reconversion? Hormis un éventuel changement de nom, d'habit et de lieu du culte, il ne se passe à vrai dire pas grand-chose de plus ou de moins qu'avant. C'est comme les cheveux : qu'une brune se teigne les cheveux en blond pour quelques semaines ne donnera jamais lieu qu'à une nouvelle façon de se regarder dans la glace, c'est toujours elle-même qu'elle y verra. Et c'est donc toujours le même Dieu qu'on voit à travers les religions (bien qu'on vienne d'en changer le nom et les fringues aussi).

Ce qui nous mène au paradoxe suivant : toutes les religions sont d'accord sur l'unicité de Dieu. Il n'y a qu'un Dieu, disent-elles. Mais alors, nous Zombies posons la question brûlante : pourquoi plusieurs religions puisqu'un seul Dieu (vous voulez Le rendre schizo ou quoi?!). Paraphrasant Vandemorteuleu, nous dirions, pour illustrer ce travers, que Dieu c'est comme les frites : on en mange à toutes les sauces! (Cette comparaison parlera surtout aux Belges, aussi nous invitons nos autres lecteurs à remplacer les frites par leurs plats nationaux, et les sauces afférentes par le Divin Accompagnement – bon, nous ne sommes pas sûrs que cela soit mangeable, en fait…)

Plus nous creuserions, plus nos pelles buteraient contre de nouveaux paradoxes. Une fois le fruit pelé de tous ses paradoxes, que resterait-il?
   Ceci :






Bien regardé?
   On peut faire dire à ce blanc à peu près tout ce qu'on veut, et là est le danger.
   On peut se persuader d'y voir Dieu, puisqu'Il est invisible par essence. On peut lui faire une barbe, ou un béret à la Douanier Rousseau. Oh, non, Il aurait plutôt un turban…A moins qu'Il ne commande chez de grands couturiers… Sûrement, puisqu'Il a sept bras trois têtes… Mais que nenni, il enfile une toge et voilà tout…
   Bref, libérez votre imagination.
   Imagination, autre mot-clé : l'épopée religieuse est une source inépuisable où les Hommes comblent leur besoin essentiel d'imagination.

Si nous fusionnons nos deux mots-clés, Identité et Imagination, nous pouvons sans peine tirer une première conclusion : la religion fournit au Vivant une identité imaginaire, qui dépasse l'Identité Humaine de Base.
   Partant donc d'un concept unique et inchangé – Dieu, le Vivant consolide et légitime ses différences. (Si ça, ce n'est pas du Paradoxe…)

Bien.
   Nous avons évoqué la place si confortable que la Religion occupe dans les affres de la race. Dans les faits, que voyons-nous?
   Chaque jour, dans la rue, à la télé, à la radio, dans les journaux, et dans tous les médias émergeants, l'étendard de la foi est brandi à tour de bras. Les sites Web, librairies spécialisées, tribunes religieuses, télévisions communautaires ayant Dieu pour directeur des programmes, se multiplient comme des petits pains, opérant la transsubstantiation de la crédulité en pouvoir d'achat.
   (Jamais le Marché de la Religion n'a été ni n'a rendu aussi riche!)
   La même dynamique est à l'œuvre dans toutes les religions; certaines sont à l'avant-garde de cette mouvance, mais tout ce dont elles pourront se vanter plus tard, c'est, à la limite, d'avoir été les pionnières du joli désastre qui va s'ensuivre.
   Désastre, oui, car le problème avec la religion, c'est que par sa parenté avec les Grandes Forces Cosmiques de l'Invisible (et blablabla), elle place tout de suite les choses à une échelle hénaurme. Ainsi on ne verra jamais vingt quidams se livrer une guerre religieuse, par exemple. Non, ce sont des peuples entiers qui se soulèvent et s'écrasent mutuellement contre les frontières de leurs mentalités.
   Quand la Religion se donne en spectacle, c'est une superproduction sinon rien!
   Ergo, les dégâts sont à la mesure de cette logistique.

Le monde dans lequel vous ressuscitez est pavé de tensions religieuses.
   C'est un monde où la fréquence des discussions à caractère religieux, ou à tout le moins spirituel, est devenue nauséeuse. Vous larguer dans ce monde sans vous équiper ne serait vraiment pas cool de notre part. Or notre mission étant de vous transformer en Survivant apte à retomber sur ses pattes dans n'importe quelle circonstance, nous avons pensé à vous inventer une spiritualité.
   Ayant longuement réfléchi à ce qu'elle pourrait être, nous nous sommes aperçus qu'elle était sous notre nez : le premier impératif de votre spiritualité serait d'intégrer le Paradoxe, matrice de tous les concepts humains et pilier du manège terrestre. Suivant le même chemin que les religions officielles, entre imagination et déraison, nous avons donc fabriqué le Paradoxysme.
   
Que nous orthographierons avec un y, d'abord pour le distinguer de tous les –ismes qui encombrent le catalogue, ensuite, et surtout, pour y intégrer une allusion au mot paroxysme et véhiculer une impression immédiate d'élévation – de spiritualité ultime, si l'on veut.

Définition : ce mouvement spirituel voit le jour au début du 21e siècle.
   Il n'est affilié à aucune école préexistante. Il reconnaît Dieu (limitons les risques de lynchage) et tous ses prophètes (désamorçons la bombe de la jalousie). Il n'a pas de Livre car, pour transmettre ses valeurs, il prône la tradition orale et favorise la communication directe des êtres, tablant sur l'idée que l'Ecrit n'offre qu'une fausse postérité (car en vérité il est putrescible) là où la parole, libre et immatérielle comme l'air, durera tant que durera l'espèce parlante.
   Le Paradoxysme s'intéresse à tous les êtres humains mais ne s'adresse qu'à ceux qui le choisissent, sans s'imposer à personne. Ce qui fait qu'à l'inverse des autres courants spirituels, le Paradoxysme peut très bien s'accommoder de vingt adeptes et ne cherche pas l'expansion à tout prix (d'où l'inutilité d'avoir un ou plusieurs prophètes en guise de VRP). Et lorsqu'un être y vient, il y vient comme il est, avec sa langue, son écriture, ses mœurs, ses boissons et aliments préférés, sans nulle autre restriction que la propreté des couverts et des assiettes.

Le Paradoxysme n'offre pas de réponse, il permet la mise en commun des questions; car il pense que c'est par leurs questions que se définissent les Vivants, et non par les réponses que chacun est libre d'y apporter.
   Une fois encore, à l'inverse des autres courants, le Paradoxysme n'est pas une table des lois éternelle, il n'existe pas préalablement à ceux qui l'adoptent, mais se construit de ce que chacun y amène. Tout ce que le Paradoxysme attend de ses fidèles, c'est qu'ils se racontent des blagues aussi souvent que possible. Mais s'il est mauvais raconteur de blagues, le Paradoxysme n'exige pas du fidèle qu'il se plie coûte que coûte à la corvée, mais qu'alors il soit bon public, et facilite ainsi l'émergence et la transmission du Rire.

En fin de compte (et le zombie est vivement prié d'arborer une expression béate en énonçant cette conclusion), le Paradoxysme se veut d'une ampleur et d'une souplesse suffisantes pour accueillir tous les êtres et leurs aspirations, y compris les plus… paradoxales.
   Ce qui nous permet de résumer comme suit : le Paradoxysme est le reflet spirituel direct, sans fioritures, de l'Identité Humaine de Base.
   (Et vous pouvez ajouter que le rire est le propre de l'Homme.)
   Si votre interlocuteur chicane en disant que votre spiritualité est plutôt floue, regardez-le bien dans les yeux, souriez, dites que c'est volontairement que le Paradoxysme est flou – enfin demandez-lui :
   « La nature humaine est-elle autre chose? »

(Comme ça, c'est lui qui réfléchit à votre place.)

 

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