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SONNETS
Des oiseaux. Je voyais des oiseaux sans pourquoi
voler dans l'élément où le ciel les a mis,
sans fil, bien sûr, sans ligne aussi, volant parmi
le vol d'autres oiseaux. Quelle leçon pour moi!
Où j'habite il y a, inclinés dans le toit,
des carreaux sans rideaux regardant à demi
vers le ciel, à demi vers la ville et promis
à les voir sans repos. Deux carreaux dans le toit.
C'est le matin, dans la cuisine, il fait beau temps.
La lucidité pure est au-dessus de moi,
dans ces carreaux qui sont des yeux toujours contents
et sans mémoire. Allons. J'habite sous le toit
et je vois les oiseaux, volant, et promettant
d'être comme eux, au ciel, au monde, et sans pourquoi.
Pour qu'on se dise aussi qu'au-dessus de Bruxelles
il y avait quelqu'un, debout, à la fenêtre,
modeste et regardant encor le monde naître
et n'être à chaque fois qu'un enfant de Bruxelles,
isolé, volatile, et sensible à ce qu'elle
affirme dans le noir quand la moindre fenêtre
éclairée réinvente un quelqu'un qui peut-être
en regardant aussi fait renaître Bruxelles.
À genoux maintenant sous le poids d'une mort
en chaque instant brutale et rapiécée la ville
épuise maintenant son plus ancien remord
et se souvient du nom béni qui volatile
emporte d'elle au loin la tristesse et la mort
et l'espérance allée sur une aile fragile.
J'entends mieux, chaque jour, la langue des oiseaux :
elle est plus simple et suspendue au vol ténu
de leur parole, elle est une aile et j'ai connu
des jours légers où je volais comme elle. Oiseaux,
vos ailes deux par deux vont comme des ciseaux
taillant dans l'air du ciel les papiers bienvenus
d'un présent généreux et toujours inconnu,
léger, subtil, improbable mais pris très au
sérieux. Oiseaux, là haut, je vais, reconnaissant,
vous imiter encore un peu; un jour peut-être
je vous ressemblerai. La vie soudain va sans
le poids qui la tenait et part se reconnaître
en vous, oiseaux, et votre chant qui redescend
et que j'entends, si je le veux, par la fenêtre.
J'inaugure ce soir, dans la couleur étrange,
une façon nouvelle, insolite, de boire
et de rire tout seul, si tout me porte à croire
que vous êtes partis, amis, quelques vidanges
et des mégots taiseux dans le sourire étrange
des goulots endormis et de la fumée noire
qui vous a échappé, si tout me pousse à boire
un dernier coup en votre honneur, absences d'anges,
vous êtes retournés vers vos maisons, chacun
dans sa voiture, et ceux, clairs, qui vous accompagnent,
transparents, même, et ignorés, ailés, qu'aucun
de vous ne reconnaît, peut-être, et qui regagnent
l'intimité de votre cœur sans ce quelqu'un
qui est resté ici et qui vous accompagne.
L'amour d'un fils connaît cet espace imprécis
d'une ligne de mer large et l'infatigable
bord des larmes où son vagissement s'ensable
lentement pour grandir quand la plage durcit
et la marée revient, plus vague vue d'ici,
sur la ligne de digue et la ligne admirable
d'un garde-fou et d'un regard plus doux, semblable
au sien que tout découvre et qui regarde aussi ;
à chaque fois plus vague et flou dans l'air pluvieux
où quelque chose disparaît du bord de mer
qui va, qui vient, qui meurt, à chaque fois plus vieux
si l'horizon se voile et s'il courbe la mer
infatigable de tendresse au bord des yeux
qu'il découvre à son tour plus vagues que la mer.
Puis son regard s'éclaire et les mystères qu'il
vivait dans son sommeil ou dans le paradis
font place à ce qu'il voit dans le monde arrondi
de ses yeux clairs, bavards, et le subtil babil
parlé dans son regard anime tout ce qu'il
atteint comme le chant des oiseaux enhardit
le vol de toute chose au cœur de l'air et dit
la liberté de tout aimer dans le subtil
désir d'un nouveau-né quand il s'éveille et part
de grand matin les bras ouverts dans la lumière
retenue de sa chambre où gravite au hasard
le mobile léger d'un amour, si la fière
victoire toujours là de ce premier regard
fait brûler de désir la journée tout entière.
Où l'air est aussi rond qu'est ronde la planète
tournant dans cette main fermée, ferme et fidèle
comme la main d'un père, et l'atmosphère qu'elle
appelle en respirant, le jour, la nuit, secrète,
et qui veille sur elle et l'appelle planète
comme une mère habillée d'air, d'amour et d'ailes
et qui l'entoure et la protège et qui l'appelle
mon enfant, mon enfant, tu rêves de comètes
qui brillent dans la nuit et qui voguent légères
de ton rêve à ton rêve avant que tu t'éveilles,
avant que le soleil se lève sur la Terre
ta mère est là et l'air t'attend où tu sommeilles
tendre et fragile et redoutable avec ton père
qui te connaît et qui attend que tu t'éveilles.
Je n'ai rien mis à l'intérieur de mon cheval.
Je l'ai construit près des bateaux sur le rivage,
juste au bord de la mer, sur le morceau de plage
que l'eau avait durci. Je l'ai fait colossal
à force d'être vide et léger, mon cheval,
tout rempli d'air. Il était beau, là sur la plage,
comme un coffre à trésor, et comme un coquillage,
tout vide à l'intérieur, et beau comme un cheval.
On est partis sur les bateaux. C'est ça, la mer :
comment lui résister! On est partis très loin,
en laissant le cheval, tout seul, près de la mer.
En cadeau. Au cas où quelqu'un en a besoin.
Pour habiter dedans, par exemple, à la mer.
Ou bien pour décorer, quelque part, dans un coin.
Copyright © Grégoire Polet, 2006
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