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TOP CHRONO ET AUTRES POÈMES
Top chrono
11 Septembre
Offre et demande
Angoras
Commerce en ligne
Top chrono
C'était le mois des ombres
dans les plus grandes maisons
on passait des heures sans nombre
dans l'attente de la distribution
de l'aide internationale
la cuisine de ces plats sombres
et le calcul de leurs rations.
Il pleuvait à l'infini
une eau couleur de tombe
avec un goût de ferraille
que l'on buvait sans précaution
en écoutant le bruit des bombes
celui des explosions
était-il onze heures ou bien déjà minuit.
C'était une épouvantable pagaille
tout allait de travers
on aurait donné père et mère
on aurait vendu tout son attirail
pour rêver quelques secondes
aux vacances de l'année dernière
l'heure était-elle à demi ou bien déjà ronde
Nous étions ensemble au bord de la mer
nous nous aimions sans nous connaître
je t'observais dans le grand lit
ta peau n'avait pas cette couleur sombre
ramassée cet après-midi.
C'était le mois des ombres
et dans ma grande maison
je te voyais faire des rondes
tu n'entendais plus les bombes
ni la voix de ta raison
nous avions laissé le grand lit défait
des draps à motifs si je ne me trompe
figurants roses et ronces.
11 Septembre
«Les sociétés dont le capital dépasse d'un demi pourcent la valeur de la constitution au douzième mois suivant la distribution des actions au porteur seront l'objet de vérifications.»
Fit un type en colère. À côté de lui une dame blonde tirait sur sa manches et disait : «Tais-toi donc, tu te rends compte de ce que tu racontes. Tu vas t'attirer des ennuis, tu vas te faire des ennemis, te taper la honte.» Mais il s'en fichait de son conseil d'administration, du regard de son patron, des plis de son pantalon, ou de la dame aux cheveux blonds. Il était dans une colère noire car on l'avait arnaqué dans une boutique d'appareils automatiques, de films ostentatoires et de sexes en plastique.
Le type était retourné au magasin où il avait acheté la veille la machine à piles ou sur secteur appelée Eternal Pleasure.
Il l'avait posée sur le comptoir, avait appelé le vendeur lui avait jeté un regard noir, en prétendant à un problème de moteur.
C'étaient les petites ventouses qui n'actionnaient pas les petits doigts ou alors l'accélérateur qui n'entraînait pas la triple série de capteurs.
«J'y peux rien à cette histoire.» Faisait le vendeur l'air charmeur regardant les capteurs, tirant sur les accessoires.
«On ne change pas ces appareils-là c'est une question d'hygiène de vie, celui-ci a déjà servi. Cette pièce n'est pas neuve, on l'a forcée ici et là. La preuve, on a tiré sur sa chaîne on a usé son processeur il sent la sueur et me glisse entre les doigts.»
Le client insistait, voulait voir le directeur, lui dirait dans quel état cet engin avait mis sa sur qui se traînait comme une loque. On était mieux reçu à Bangkok, il l'écrirait à Test-Achats.
Le directeur arriva. Genre riche promoteur. Il dit : «Je vois que monsieur est connaisseur, peut-être qu'un échange, à votre avantage, si cça vous arrange, vous ferait oublier vos malheurs. Prenez la crème Citron sodomisateur ou notre vibrateur à double manche.»
Après une courte discussion, le type a obtenu d'avoir les deux et une boite de pilules haute pression. Il avait gagné sa journée. Il s'en était fallu de peu.
Offre et demande
Les ouvriers du chantier numéro trois
sentant la transpiration et la crème solaire
assis au bord de la route Ohain-Breda
prenait le quart avec café et chester
Pour arrondir ses fins de mois
Salvatore, clarckiste italien
vendait des cassettes en danois
auxquelles on ne comprenait rien
«Tu t'en fous des paroles»
disait Salvatore
«ce sont des filles qui montrent leur corps
qui s'amusent et font les folles»
Antoine était soudeur
très intéressé par la pornographie
il acheta le titre Cravache pour une jeune fille
et le regarda à vingt-trois heures
L'image était mauvaise
le son plutôt brouillé
Antoine se mit à l'aise
à double tour dans l'atelier
Un type en caleçon disait
«yes, nice, yes, beautiful»
à une jeune fille de Séoul
à poil qui grelottait
Antoine eut le cafard
remonta son pantalon
sortit de son placard
alla prier son saint patron
Il envoya un don
à la fondation Help Prostitution
ne parla plus à Salvatore ce con.
Angoras
Le feu avait pris dans les quartiers sud et puisque le vent soufflait au nord la ville s'alluma d'un seul coup comme un morceau de phosphore.
On criait des «au feu», on criait des «au secours» des «sauvez mon enfant» ou des «sauve qui peut».
On courait en tout sens, qui enflammé, qui suffoquant, on se coinçait dans des baignoires, on se terrait dans des jardins, on défenestrait les bambins, les filles grillaient comme des allumettes, les garçons comme des marrons, se faisant traiter de mauviettes, de débiles, de pauvres cons. Les obèses fondirent, les maigres se brisèrent, les chats prirent comme de la cire et puis se consumèrent : les angoras immobiles, les siamois poussant des cris perçants et les persans imbéciles ronronnant. L'hystérie gagna le haut de la ville, on baisait au Hilton, on violait de la rue Neuve à l'Ultime Atome, on égorgeait sur Ixelles, on pillait sur Saint-Gilles, on tuait pour une échelle. On accusait son voisin d'être pyromane, sa voisine d'être nymphomane, son frère d'attentat à la pudeur, sa sur de collaboration, on la rasait alors sous les crachats de l'assistance et on la jetait dans les flammes, arrosée d'essence pour hâter la combustion. Près de Sainte-Gudule un curé incrédule priait dans les deux langues pour la reine flamande qu'il imaginait, binnen komen exsangue à Laeken.
Les pompiers tiraient au flanc, on les croisait errant tête basse sur la chaussée de Gand, hagards à la Chasse, perdus dans les gares, complètement à la masse.
Et moi triste, à cause de mon amoureuse, car c'est triste une belle femme triste. Brûlées les cotonnades, le chinchilla, la soie vaporeuse. «Je veux mourir», pleurait-elle à la cantonade. Je lui disais des «mais non», je lui disais des «je t'aime», des «ne t'en vas pas» mais elle préféra Bruxelles en flammes. Pleurant ses pantalons, ses laines et ses bas elle descendit vers l'incendie. Rêvant d'éternels amours et de satin, la femme est comme la flamme : brille un moment, chauffe un instant et puis s'éteint.
Commerce en ligne
Je l'avais croisé très casual, entre un snack et un self. Il n'y avait là rien de banal car je me rappelle de celui qu'à la fac nous appelions l'elfe, un poil féminin, un tantinet faux-self, prétendant en général s'intéresser aux fax ou aux e-mails qui le fascinaient. Nous le sentions alors assez relax mais nous considérant comme du bétail. L'un de nous avait en fac-similé la correspondance avec son sérail, des nord-africains sportswear, usant d'une étrange syntaxe, qu'il arrosait en abondance de regards pervers. Son favori s'appelait Max et avait l'âme de travers, ses idées sentaient le rance. Ces migrants simulaient pensait-t-il furax et son cur se barbelait en conséquence. Il surfait la nuit sur certains sites salaces pensant que la vie prenait sens à la vue de ces bittes gonflées à max et des grimaces de poupées à l'il torve et à la chevelure filasse. Il gardait des séquelles. Au matin malgré l'air pur sa cervelle pleine de morve lui faisait la vie dure, impossible de se regarder dans une glace, impossible de faire face ou d'avoir un peu d'allure. À cette époque mes souvenirs s'emmêlent, je le vois encore traîner ses semelles du côté du Coq, adoptant un triste look rock, se camant jusqu'à la moelle avant que la justice s'en mêle. En taule d'avril à Noël. Privé de ses amants sa raison se couvrit de gel, il fit partie de la secte Harmonie Universelle, puis de celle des Pèlerins d'Anderlecht organisant des parties avec de jeunes pucelles. L'une s'appelait Giselle, partie de chez elle pour une histoire de coke. Dans le cur de mon ami germa un saule à la place du démon, Giselle de jour habitait ses branches et le soir gisait parmi les radicelles, elle était de celles que l'on aime et qu'il était beau l'amour pour ce garçon au désespoir. Il plaqua me dit-il entre ce snack et ce self, les plaisirs versatiles de son crack, de sa secte, de ses sites et de son Max pour le cur de Giselle pour lequel, eh oui, le sien battait sous son thorax.
Copyright © Thomas Gunzig, 2002
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