|
|
POTACHERIES POÉTIQUES
Confession
Baiser voyageur
Diva
Entre les lignes d'un billet doux
Sen-temps-ces
Ponctualité
Matinée scolaire
Pâté
Dernier mot
Confession
Je t'attendais déjà aux mâtines
Personne!
J'ai fait le guet aux laudes
Tu n'étais pas là.
Tu n'étais pas à la prime.
À la tierce non plus.
Je ne t'ai pas aperçue à l'heure sexte, entre deux bâillements et trois battements de paupières.
À la none, je ne t'ai pas vue.
À l'office du soir, je t'ai cherchée en vain.
J'ai eu les vêpres et les complies pour me faire à l'idée que tu ne viendrais pas.
Après tout, tu n'avais pas dit que tu viendrais.
Puis le soir, assoupi de tout mon long sur quatre chaises d'église, dans des reliquats d'encens, de cire vierge et de vieilles étoffes, sous le regard de plâtre peint de quatorze statues hiératiques, pointant leur index, qui vers le ciel, qui dans ma direction, j'ai rêvé, je le confesse
des rêves polissons.
Dieu, que c'est bon!
Baiser voyageur
Avec mes grosses mains artisanes,
j'ai pris le petit paquet bleu foncé
Avec mes gros doigts profanes
j'ai dénoué le petit nud doré à bouts crollés
j'ai effeuillé le papier
Sur ma paume paysanne,
il restait une jolie boîte blonde, toute ronde
avec un pressoir argenté
J'ai porté dessus mon pouce en douce
j'ai pressé
j'étais pressé
le couvercle s'est soulevé
et le baiser s'est envolé
Moralité :
Quand un cur bat l'beurre
Ne lui offrez pas de baiser voyageur
Diva
Dès que je vous ai entr'aperçue, Seigneur Dieu, que ma gorge devint sèche!
Non, ne dites rien. L'élan de votre col, la rondeur de vos épaules, l'éclat velouté de votre robe, quelle merveille, quelle classe! Ça vous fait sourire!
En temps normal, je me moque des étiquettes, mais vous, vous n'êtes pas faite comme nous, communs mortels!
Je vous perçois comme ces châteaux au fond d'un parc, vous savez, ces châteaux qui s'inscrivent dans les arabesques d'un portail.
Vous devez me trouver trop romanesque!
Je devrais me taire, juste vous contempler. J'espère que vous ne me trouverez pas insolent. Non, Madame, il ne faut pas! Quand vous m'aimerez, vous découvrirez que si j'ai un zeste de culot, j'en ai certainement moins que quiconque, moins que vous peut-être! C'est la vérité. Vous connaissez le proverbe
la vérité
. Vous voyez ce que je veux dire. Je vous ennuie. Je n'en puis plus, Madame, je ne tiens plus en place, je crois que je vais commettre l'irréparable. Votre teint, ce collier d'argent qui est votre habillage, ce sceau de cire qu'est votre chasteté, je brise tout ça, je vous décortique, je vous dépucelle, je vous tire-bouchonne, je vous respire
Trop tard, je vous verse dans mon verre!
Entre les lignes d'un billet doux
Ma douce à la dizaine
Dans la foulée, ma bien roulée
Ma belle oiselle, ma demoiselle,
Je vous écris cette lettre, cette missive, cette épistole
(Ça fait déjà trois ratés au protocole)
pour vous demander de bien vouloir m'accorder sinon m'abandonner une faveur
(Que de verbes inconjugués pour un auteur)
Je brûle de vous rencontrer dans l'heure,
de souper face à face sans votre sur.
(Où est passé mon effaceur?)
Ne parlons pas de sexe
Je n'ai pas de typex
(Ces propos de couillon
sont bons pour des brouillons)
Je veux me vouer à vous, je vous l'avoue. À vous tout court, vos contours sans détours.
(Pour un billet griffonné, que de choses à biffer)
Je vous ferai des serments zéternels, zéclatants, zétourdissants
(Parmi ces adjectifs, quel est le moins zénant?)
Donnez-moi votre main, ce serait folichon.
(Je m'en vais sur le champ déchirer ce torchon)
Je vous aime beaucoup sur le coup, passionnément sur le moment.
À la folie au lit,
(Si c'est ça qu'elle lit, ce sera l'hallali)
À présent à la ligne, il est temps que je signe.
Pour asseoir mes desseins,
que j'appose mon seing,
que je me nomme :
le mieux attentionné des hommes
(un rien pompier faut que je gomme)
votre aspirant soupirant
(ce n'est plus dans le vent)
votre médusé fiancé
(n'allons point trop nous avancer)
votre prétendant éperdu.
(Et une feuille vierge pour mettre au propre ce que j'ai pondu)
Mademoiselle,
Je vous écris pour vous demander une faveur. Je brûle de vous rencontrer. Donnez-moi votre main. Je vous aime.
Votre prétendant éperdu.
Sen-temps-ces
Le temps qu'un humain passe devant son miroir s'appelle un temps de réflexion. À en croire les miroirs, les femmes réfléchissent plus que les hommes.
Quand on est jeune, l'outrage des ans est d'un autre âge, quand on est vieux, l'outrage des ans est outrant.
Elle prit du temps pour elle. Comme il n'en restait plus pour les autres, elle se dit : Temps pris pour eux, le temps n'a pas de prix.
Gaëtan dit à Tristan : «Pas gai, ce temps.»
Tristan dit à Gaëtan : «Triste temps!»
Ce n'est pas parce qu'on a cent ans qu'on est forcément sentant.
Monsieur le Juge, nous ne pourrons admettre que le temps est assassin aussi longtemps qu'il y aura des temps morts.
Achille a le temps long. C'est le temps long d'Achille.
En ce temps-là, Jésus dit à ses apôtres : «Mon heure n'est pas encore venue. J'attends toujours l'horloger. Quand il viendra, je lui ferai une scène, la dernière.»
Vivre deux fois le temps, c'est ten-tant.
Sa mie l'attend à la mi-temps. Sa mie est sa moitié. C'est donc sa demi-mie. Pour l'autre moitié, une autre mie l'attend à l'autre mi-temps. Sa mie plus sa mie égale sa Mimie. Sa Mimie serait-elle pleine? J'en ai bien peur puisque son temps est plein.
Au troisième top, il sera exactement l'heure que vous voudrez. C'est ce que j'appelle un temps libre.
Quand cesserez-vous de me tourner autour, dit un jour l'aiguille des minutes à la trotteuse? Quand je serai lasse de vous seconder, répondit l'impertinente du tic au tac.
Epitaphe : Son futur n'aura pas été ce qu'il eût dû être, c'est-à-dire plus que parfait, du fait que son passé antérieur a fait que présentement il est trépassé.
Un temps plein n'est pas forcément alcoolique.
Quand il entendit sonner sa dernière heure, il s'écria : «Je n'ai pas vu le temps passer, pas assez! Si je faisais comme s'il n'existait pas, pas de trépas!»
Il est malhonnête de dire je suis à toi dans une seconde quand on n'a pas une seconde à soi.
Mieux vaut avoir l'âge de ses artères que l'âge de César-Auguste!
La sagesse populaire dit : Le temps, c'est de l'argent. Or le temps n'a pas de prix. Donc l'argent n'a pas de prix. Envoyez la monnaie!
Il faut vivre le temps présent, même s'il est imparfait.
Le temps est un perpétuel recommencement, recommencement, recommencement
Ponctualité
Quand il eut vérifié l'heure sur son cadran solaire, évalué le temps sur son sablier, parcouru ses deux horloges sur pied, sa pendule renaissance en biscuit, son réveil-matin en fer blanc et l'oignon de son grand-père qu'il portait dans son gilet souris, quand de toutes ces heures, il eut fait la moyenne sur son boulier compteur d'heures, il dut se rendre à l'évidence : le train était parti sans lui. Quel malheur!
Matinée scolaire
Par une nuit glacée, une biche et son faon
(Moins de bruit, s'il vous plaît, faites asseoir les enfants)
S'en remettent à la lune, en l'absence du mâle (Si chacun se taisait, ce s'rait un moindre mal)
Les chiens sont à leurs trousses et ne les lâchent guère
(Je vois deux places à prendre à côté du vicaire)
On entend leurs abois écharper la forêt
(Pour ceux qui sont debout, prenez un tabouret)
Bientôt ils vont surgir, et sans pitié aucune
(Là-bas, sur le côté, il en reste encore une)
Massacreront la mère ainsi que son petit
(En avez-vous fini avec ses chuchotis!)
Les chasseurs, essoufflés, accourent sur le site
(Taisez-vous donc un peu pendant que je récite!)
Ils veulent être témoins de cette immolation
(Je devrais vous priver de ma déclamation)
Les victimes tremblantes livrées à leurs bourreaux
(Si vous voulez la fin, tenez-vous à carreau)
Prient le ciel de venir leur prêter assistance
(Pour la dernière fois, j'exige le silence)
Quand soudain on entend, comme un écho céleste
(Si ça ne vous plaît pas, reprenez votre veste)
Le brame d'un grand cerf aux bois impressionnants
(Pourquoi vous levez-vous, n'est-ce pas passionnant?)
Fonçant tête baissée, les chasseurs il repousse
(Qu'est-ce que vous avez à filer tous en douce?)
Il périt le matin, et tandis qu'il s'étend
Le poème se meurt, faute de combattants
Pâté
Avec mon écriture régulière d'écolière appliquée, sur mon cahier ligné, j'ai fait une rangée de a. Ça va, me dit papa! Et puis une rangée de o. Bravo, me dit maman bien haut. Et puis des é, bien alignés. C'est bien fait, me dit mémé. Mais, en trempant ma plume dans l'encrier, j'ai fait un petit pâté sur le cahier. En gommant le pâté, j'ai renversé l'encrier sur mon cahier ligné, et mes a et mes o et mes é sur mon banc d'écolier et ma jupe plissée. Y'en avait même sur le plancher. Quelle pitié! Ça m'a valu trois tripotées, une par paté. Et mon père et ma mère et mémé ont tant tempêté que j'ai remis dans l'encrier et mon cahier et le plancher et mon banc d'écolier et ma jupe plissée et mes a et mes o et mes é. Et comme il restait un peu de place dans le capuchon à visser, j'y ai fourré papa, maman, mémé. C'est bien fait. Faut pas pousser.
Dernier mot
Je n'ai plus rien à dire, plus rien à ajouter.
Pas un mot de plus, pas le point d'un I, la cédille d'un C ni l'anicroche d'un Q.
D'ailleurs, si vous vous imaginez une seconde que je lâcherai le moindre jambage d'une lettre appartenant à une syllabe constituant une quelconque parole, détrompez-vous, vous faites fausse route.Muet je suis, muet je resterai.
Quand bien même vous useriez contre moi de pressions physiques ou morales pour me faire cracher le morceau, de tortures sophistiquées inspirées des moments les plus épouvantables de l'histoire, vous n'avez aucune chance, pas un son ne sera proféré, rien ne forcera le barrage étanche de ma bouche. Je demeurerai muré comme un tombeau babylonien, une yourte terrée sous trente siècles de silence, mieux encore, un crâne préhistorique dépourvu de mâchoire inférieure.
Et vous aurez beau supplier, joindre les mains, fondre en larmes, baiser mes pieds, mon corps entier pour que je parle, je me tiendrai devant vous, inflexible, le front sévère, les lèvres cousues, tournant la tête de côté comme un aigle impérial.
Et vous ne saurez jamais, au grand jamais, ce que je me refuse à vous dire, parce que si je vous le disais, il est plus que probable que vous me feriez l'affront de prétendre que je parle pour ne rien dire.
Copyright © Bernard Tirtiaux, 2002
|