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LE DEUIL DES CULOTTES COURTES
PAR STÉPHANE LAMBERT
Le tableau est tout d'abord entaché de lumière. Puis une source centrale donne la couleur du torrent. Il parle d'une voix rauque. Quelque chose se dégage. Émerge. La couleur n'est pas jaune. Elle est bleue comme l'enfance perdue. Elle sent les vifs pigments dont notre mémoire ne se détache pas. Elle sent les heures de goûter. Des arbres toujours fleuris. Elle sent l'ensoleillement aperçu au cours d'une atmosphère enfouie. Les yeux bercent le silence. Et soudain cela éclate à notre vue. Cela renaît, comme une éruption, l'hypothèse certaine de notre mal : le deuil des culottes courtes. Cela vient de loin, et jaillit partout : une source, vous dis-je. Et puis rien. Tout s'efface champ de ruines. La couleur volatile s'est transformée en grisaille, en océan terrible. La source est un maelström qui nous aspire et nous inspire un sentiment de peur. Elle engloutit nos rêves comme un violent hachoir. Des nuages prennent d'assaut notre mémoire. Le ciel se vide des oiseaux migrateurs. Le vent est terrible. Et quelque chose continue de nous fasciner là-dedans un mystère, une métamorphose inquiétante. Oui, la source n'a pas quitté notre envie malgré son nouvel air de cauchemar. Il y a en nous du plongeur qui veut s'y enfoncer. Une allumette enflammée propage sa chaleur au fin fond de nos veines. La lumière traverse la nuit. Éclaire notre disgrâce. Et dans ce miroir se reflète le faciès de la rage, un non-dit du tonnerre. Le goût du soufre occulte nos sens. Nos bouches deviennent pâteuses. Nos joues noircies cachent leur gêne. La roulette tourne : où sont les gommes molles? La vague se brise dans les remous du passé. La blessure se nomme amertume. Dans une ombre de souvenir se cache une goutte de sang. C'est la terre qui se dérobe sous mes pieds pas ma tête, elle est intacte. Accrochée à mon corps, elle joue les tristes girouettes du sort. La source toise mon regard. Dans son antre baignent mes jeux d'enfant. La main qui se tend se raidit, arrêtée par la douane de la mort. À travers ce verre d'eau, j'aperçois, déformée, la lune qui s'emporte. Heureusement l'alcool m'enivre. L'effroi s'apaise. Rien n'est plus vivant. Hier j'ai perdu ma veste au square d'un ancien dimanche. Je l'avais laissée traîner sur un banc, quelqu'un a dû me la prendre. Les feuilles sur le sol rappelaient que l'automne sonnait à la porte. Et j'ai continué mon chemin, la gorge irritée, le nez rouge, les yeux ensanglantés. Demain n'a pas d'odeur.
FACE À FACE
Narcisse, l'eau se transforme en cristal
Et mon visage devient soleil Le sourire réchauffe l'épouvantail qui attire les mouches Et ça sent la craie La craie qui crie sur ce tableau lisse Narcisse, l'eau s'évapore en cristal Ma peau brille d'une sueur pâle Une main qui palpe Et le craquement se fait éclair Narcisse, je me penche sur ton nom Rodin n'était pas là pour te prendre en photo Seul ce cliché d'un Apollon moderne Les poils se dressent et tes yeux brillent Je n'habite pas auprès d'un fleuve Mes cernes campent mon regard dans un alcool Glacé comme le cristal qui s'abîme Se brise dans l'acuité d'une larme TRADITION
La sati saute sur les cendres
Les folles flammes qu'elles enfantent Violent la veuve dépravée Sautillent comme une danse Un rituel une cadence Et sur sa peau qui se décharne L'essence de l'huile qui l'encense Brille comme la trace d'un ultime silence La sati s'écroule sur la suie Le corps cramé Une odeur suit Le crâne rasé Et la pluie Copyright © Stéphane Lambert, 2005. |