Bon-a-tirer est une revue littéraire diffusant en ligne, en version intégrale des textes courts originaux et inédits écrits spécialement pour le Web par des écrivains actuels principalement de langue française.








 
L’ÉCOSSAISE. PIÈCE EN DIX-SEPT TABLEAUX

Personnages :

Marie Stuart
Amyas Paulett
Judith, femme d’Amyas
Catherine, jeune fille

Décor :

Il peut être réaliste ou abstrait. Mais il doit, impérativement, représenter trois espaces : l’un, celui de Marie Stuart, au fond duquel se trouve le dais royal (M), l’autre, celui des Paulett (P) et un troisième, situé en hauteur, pour la scène finale. On éclairera tantôt l’un, tantôt l’autre.

Costumes :

D’époque, le contraire paraît difficile. Mais sans insister, avec quelque chose d’épuré. Tout s’y prête : le puritanisme, la captivité…

L’action se place entre septembre 1585 et février 1587.

(Extrait)

Tableau 4.

(P, chez les Paulett) JUDITH, CATHERINE

(Judith sert à boire à Catherine)

JUDITH – Du vin et du fromage. Voilà deux choses qui vont bien ensemble. Le vin est français, le fromage anglais. Heureusement que ce n’est pas l’inverse ! (prend son verre) Du moins pour ceci (lève son verre) À votre santé ! Je saisis l’occasion pour trinquer avec vous. Sir Amyas ne prend que de l’eau. (Catherine a un geste d’embarras) Ce n’est pas une raison pour l’imiter. L’eau, Dieu l’a faite pour se laver. (pause) Alors ? Comment est-elle ?
CATHERINE – Qui donc ?
JUDITH – La reine d’Écosse, évidemment.
CATHERINE – Vous ne l’avez jamais vue ?
JUDITH – Si je pouvais. Mais elle est mieux gardée que les trésors de la Couronne. Eh bien ?
CATHERINE – Sir Amyas…
JUDITH – S’il faut compter sur lui pour me décrire une femme. Sait-il seulement comment la sienne est faite ? Alors les autres, vous pensez. Dites-moi vite comment elle est.
CATHERINE – Belle.
JUDITH – Tant que ça ?
CATHERINE – Mais elle fait bien plus que son âge.
JUDITH – Rien d’étonnant. Après la vie qu’elle a menée. (Pause) Bien habillée ?
CATHERINE – Très simplement. Mais avec une allure… une allure…
JUDITH – …royale ?
CATHERINE – On ne peut plus. Elle n’oublie d’ailleurs pas son rang.
JUDITH – Elles sont toutes les mêmes.
CATHERINE – Cependant, elle vous met à l’aise.
JUDITH – La courtoisie des grandes dames qui vous contemplent sans vous voir…
CATHERINE – Une véritable gentillesse, je vous assure J’en oublierais qu’elle est notre ennemie.
JUDITH – Notre ennemie à nous ?
CATHERINE – Celle de la religion, celle de la reine.
JUDITH – Ouais. (pause) Elle s’est donc montrée aimable ?
CATHERINE – Très. Elle a même dit qu’elle prierait pour moi. De sales prières papistes, merci bien.
JUDITH – Une prière est une prière. Vous jouez un drôle de jeu, ma petite. Notez que ça ne me regarde pas. Mais tout de même… (pause) C’est pour l’argent ? (geste de Catherine) Non, ce n’est pas pour l’argent. C’est pour vous faire bien voir ? Non plus. C’est parce qu’on vous y oblige ? Encore moins. Et ce n’est pas par vice. C’est par conviction, alors ? Par idéal. Ah ! L’idéal ! Il en fait faire des choses. (pause) Et ça ne vous gêne pas ? Là, là, ne vous étouffez pas avec ce fromage. Buvez un coup, ça ira mieux. (pause) Lentement. On ne s’énerve pas. Très lentement. ça va mieux, on dirait. (pause) Qu’est-ce que j’étais en train de raconter ? Ah oui. ça ne vous gêne pas de faire belle-belle avec cette malheureuse pour aller ensuite colporter ce qu’elle a dit ? à mon Paulett ! Vous ne connaissez pas Sir Amyas.
CATHERINE – Vous vous trompez. Je le connais fort bien.
JUDITH – Pas autant que moi.
CATHERINE – Suffisamment pour savoir qu’il peut être assez… terrible.
JUDITH – Peuh. Enfin… ça dépend avec qui.
CATHERINE – Mais c’est un juste.
JUDITH – Si tous les justes lui ressemblent, je préfère l’enfer au paradis.
CATHERINE – Madame, vraiment.
JUDITH – Je passe ma vie avec un juste, j’espère que l’éternité sera plus drôle. Et pour tout dire, je doute fort que Dieu apprécie cette sorte de  gens. Non, je ne crois pas qu’il en raffole. De vrais bonnets de nuit. Et toujours le devoir, et jamais une erreur.
CATHERINE – Je serais pourtant fière d’avoir un tel mari.
JUDITH- Fière, peut-être. Vous ne ririez pas tous les jours.
CATHERINE – Nous ne sommes pas venus au monde pour nous amuser.
JUDITH – Vous m’en direz tant. (pause) Quel âge avez-vous ?
CATHERINE – Seize ans.
JUDITH – Voilà qui explique tout. Attendez d’avoir perdu quelques dents. Et quelques illusions.
CATHERINE – Vous… vous… vous n’aimez pas Sir Amyas ?
JUDITH – J’aime le petit garçon qu’il a été. Et qu’il est encore par moments. Quant à l’homme… Il faut faire avec ce qu’on a. Et se dire qu’un homme peut avoir plusieurs faces.
CATHERINE – Une femme aussi.
JUDITH – Naturellement. Plusieurs faces, oui. J’ai lu l’histoire d’un tyran que l’on vit pleurer quand mourut son chien.
CATHERINE – Sir Amyas n’est pas un tyran.
JUDITH – S’il en avait le pouvoir !
CATHERINE – Je le vois surtout préoccupé de servir.
JUDITH – Servir ? Ah, oui. Servir. Courber le dos sous la férule. Filer tout doux devant plus grand que soi. User ses genoux sur les prie-Dieu. Avez-vous remarqué : ceux qui, le plus, veulent affirmer l’autorité sont ceux-là même qu’elle fait sans cesse plier. Servir ! C’est sa faiblesse. Sa grande faiblesse. Savez-vous que même le plus juste a ses faiblesses ?
CATHERINE – Pas Sir Amyas.
JUDITH – La plus malencontreuse s’appelle Elizabeth. Il ne voit que par les yeux de la reine. (entre ses dents) La garce.
CATHERINE – Pardon ?
JUDITH – Oui ?
CATHERINE – Vous disiez quelque chose ?
JUDITH – Non. Non, non.
CATHERINE – Pourtant, j’ai cru… Quelque chose comme…
JUDITH – Sa Grâce. J’ai dit : Sa Grâce.
CATHERINE – La meilleure des reines.
JUDITH – Absolument. Il n’y a pas de doute là-dessus.

Copyright © Liliane Wouters, 2012
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