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LES FEUILLETS DE LIÉGE DE FERNAND DESONAY (1934-1935)

Fernand Desonay est né à Stembert en 1899. Après des humanités au collège Saint-François-Xavier de Verviers, il entreprend à l'Université catholique de Louvain des études de philosophie thomiste et de philologie romane qui le conduisent à soutenir en 1922 une thèse de doctorat. Il effectue cette année-là un premier voyage en Italie. En 1928, il publie Le rêve hellénique chez les poètes parnassiens et Le Petit Jehan de Saintré d'Antoine de la Sale. Cette œuvre satirique du 15e siècle, roman d'éducation d'un page auquel sont enseignés les valeurs chrétiennes et les «moyens de parvenir» à la cour, deviendra un des champs de travail privilégié de F. Desonay, qui publiera notamment dans les collections de la Faculté de Philosophie et Lettres de l'Université de Liège, en 1940, un Antoine de la Sale, aventureux et pédagogue devenu classique.
   L'institution universitaire liégeoise l'accueille dès 1929 en tant que chargé de cours et le nommera professeur ordinaire en 1935. Ses enseignements s'étendent de l'histoire de la littérature française et des littératures romanes aux méthodes de la philologie. Sa notice biographique de l'Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique le décrit comme un «maître écouté autant que séduisant», entretenant avec les élèves une familiarité qu'il relève de ses témoignages sur «l'amitié nouée avec Colette et avec Cocteau». «Face à la rigueur d'analyse de Servais Étienne et à la créativité interprétative de Robert Vivier, Desonay défend avec brio, au sein de la Romane liégeoise, les droits de l'histoire érudite, tout en faisant partager une passion allègre des lettres et de la lecture» À l'époque qui nous concerne, il publie un Villon (1933) qui sera notamment suivi trois ans plus tard d'un Léopold II, ce géant, et d'un volume d'Images et visages de Meuse. Essai (1938). Il vouera ensuite une étude liant biographie et «génétique romanesque» avec ses lectures du Grand Meaulnes d'Alain-Fournier (1941, 1963).
   Élu à l'Académie royale de Langue et de Littérature françaises en 1950, il fit profiter les presses de celle-ci de ce qui constituait sa spécialité en publiant en trois volumes un Ronsard, poète de l'amour (1953-1959). On voudra bien se reporter à la notice qui lui est consacrée sur le site de l'institution, en ce qui concerne les autres volets d'une activité qui se partage entre le roman, l'évocation des pays et des cultures du monde et des préoccupations d'amoureux de beau style. Ange (1942) a été qualifié de «roman tout fourniérien». Son Air de Venise (1962) et son Air de Virginie (1965) furent publiés après qu'il ait demandé son admission à l'éméritat, en raison du désaccord l'opposant à certains collègues. À l'Académie, il prononça le discours de réception de Cocteau et participa à la réunion, rassemblant notamment Marcel Thiry et Robert Vivier, au cours de laquelle se fit jour l'idée d'élire Marguerite Yourcenar[1].
   F. Desonay se noya en 1973 dans les eaux de la Haute-Ourthe à Sainte-Ode. Trois ans plus tard paraîtront à l'Institut Jules Destrée ses essais sur L'âme wallonne.

«L'homme de terrain et d'engagement qu'est Desonay», lit-on dans sa notice académique, «ne peut se satisfaire de l'austérité de la vie universitaire. On a rappelé plus d'une fois la sympathie qu'il manifeste au jeune fascisme italien mais pour noter qu'il en dénonce très vite les errements. Durant la guerre, suspendu par l'occupant, Desonay rejoint le maquis ardennais au sein duquel il se comporte avec vaillance (voir Dans le maquis, 1945)». On ne peut manquer de confronter ces quelques lignes au portrait, en partie inspiré de la précédente notice, que trace C. Vanderpelen-Diagre dans Écrire en Belgique sous le regard de Dieu (2004)[2]. Celle-ci souligne d'abord que le jeune homme, au terme de ses études secondaires, «tente de rejoindre le front de l'Yser, mais est capturé, puis jeté en prison par les Allemands». Les années trente le voient se porter au-devant du public comme «essayiste et journaliste fécond», au service de la «presse bien-pensante».

À travers toute sa production se décèle son attachement à la tradition et aux pratiques de la distinction intellectuelle (beau parler, classicisme littéraire et langagier). Lors des fêtes commémoratives de la Marche sur Rome, il accomplit un voyage en Italie qui lui inspire un essai, Fascisme anno X. Malgré quelques critiques, il n'y cache pas son emballement pour un régime «respectueux de la grandeur et de l'Autorité, voire de la tyrannie, si le tyran s'appelle Mussolini». S'il ne prétend pas être devenu fasciste, il se déclare plus que jamais «ennemi de l'idéologie révolutionnaire, des "immortels principes" et de 89». Partisan d'un État fort, le professeur est, à l'instar de toute une frange de l'intelligentsia catholique réactionnaire, un admirateur de la politique unificatrice des ducs de Bourgogne.

C. Vanderpelen-Diagre poursuit en notant que F. Desonay fut conséquent en se rangeant du côté des «nationalistes» et en menant campagne en 1937, «avec l'historien Charles Terlinden et le chef de la Légion nationale Paul Hoornaert», «afin que soit reconnu le gouvernement franquiste».

En revanche, à l'instar de la majorité de l'intelligentsia catholique influencée par les ouvrages du comte Robert d'Harcourt, professeur de langues et de littératures germaniques à l'Institut catholique de Paris et jadis militant actif de l'Action française, il rejette catégoriquement le régime hitlérien, dont le néo-paganisme et l'anti-christianisme lui sont intolérables. Persiste aussi en lui un ressentiment né dans les prisons de Guillaume II. Pour Desonay, l'Occident est certes menacé par l'Union soviétique, mais également par la gourmandise d'Hitler. Il est donc à souhaiter qu'un axe Londres-Paris-Rome prévale à un axe passant par Berlin et Moscou. Très logiquement, une fois la guerre déclarée, il choisit de résister et s'engage dans le maquis.

Ce qui suit ne prétend bien sûr pas intervenir dans l'établissement circonstancié d'un parcours dont C. Vanderpelen-Diagre trace les lignes et les courbes avec toute l'objectivité souhaitable. Il est clair que si Desonay, «pendant un temps», «a été bel et bien séduit par le renforcement de l'exécutif appliqué par les fascistes», «le nationalisme raciste et belliqueux des nazis lui est insupportable». Ce serait donc «pour les mêmes raisons» que «les tentatives et mouvements autoritaires belges — Verdinaso, le rexisme, le journal Cassandre de Paul Colin, la Légion nationale — n'obtiendront jamais l'adhésion tangible des intellectuels catholiques, même réactionnaires». Il nous faut, en conséquence, affronter la collaboration très temporaire qu'accorda Desonay à Cassandre, à une époque où le journal accueillait les signatures les plus diverses. D'un côté : Colin, Poulet, Pierre Hubermont, qui se faisait les dents avant de collaborer à La Wallonie de la «Communauté culturelle wallonne», au Nouveau journal et à Voilà, Georges Marlier, condamné après la guerre, etc. De l'autre : Charles Plisnier, Albert Mockel, Robert Vivier, Gustave Charlier, Roger Bodart, Willy Bal, Théo Fleischmann…

F. Desonay a publié sous son nom en 1934-1935, si l'on a bien compté, six textes dans Cassandre : quatre Feuillets de Liége, le compte rendu d'une Exposition d'art populaire polonais[3] et une nouvelle, Dame Vénus aux lèvres rouges[4]. On laissera ici de côté ces deux dernières contributions. Les Feuillets de Liége — où le nom de la ville s'orthographie à l'ancienne — s'échelonnent du premier numéro, du 1er décembre 1934, à la onzième livraison de la deuxième année, du 16 mars 1935. Il s'agit de croquis, pris sur le vif, de la vie et de l'actualité liégeoises : chroniques où s'exprime le goût fantaisiste d'un auteur dont les travaux académiques portaient vers l'expression libre et l'esprit satirique du Moyen Âge et de la Renaissance.
   À cet égard, certaines références littéraires que comportent les Feuillets de Liége sont indicatives de son inclination humoristique. L'un des premiers auteurs cités est Francis Jammes : non pas — semble-t-il — le Jammes religieux d'après la «conversion» de 1905, mais celui, si drôlatique, si provocateur et «prosaïque», du Triomphe de la vie de 1902. Pour faire l'éloge du «vieux percepteur» de tram, dans le premier Feuillet, Desonay voudrait trouver les mots de Jammes «qui fit pousser une fleur de pervenche entre les doigts de pied du facteur rural». Dans le Triomphe de la vie, Jammes croise, comme ailleurs[5], le «facteur rural» dans un paysage où se rencontre «la grande brunelle, la fleur dont parle Rousseau» et «la pervenche qu'il aimait», du même violet[6]. Dans un billet sur le Standard, il paraît égratigner le poète sérésien Noël Ruet, qu'il trouve, «décidément, trop pâle» pour chanter «les exploits agonistiques de nos diables “roûches”». On sait que Ruet avait été en étroite relation avec les principaux membres de l'École fantaisiste, Tristan Derème, Francis Carco, Philippe Chabaneix[7]. Y aurait-il chez Desonay un brin de jalousie, envers un poète qui trouvait l'accueil auprès d'auteurs si proches de sa sensibilité[8]? Deux «fantaisistes» réapparaîtront dans le troisième Feuillet de Liége : fréquentant le marché de la Batte, «Tristan Derème y trouverait, chaque dimanche, un nouveau cyprin pour Carco». Un cyprin étant un poisson ressemblant au gardon, Desonay fait ici allusion à l'un de ces ouvrages de Derème dont les titres alignaient à la suite des animaux colorés : en l'occurrence Le poisson rouge qui venait de paraître chez Grasset[9].

Par ce qui précède, on voit que les thèmes des chroniques de Desonay offraient un caractère franchement populaire. L'un d'eux unit deux des billets : l'affaire de l'équipe du Standard, doublement victime d'une injustice arbitrale et d'une interdiction de l'Union belge. Ce fut le grand événement sportif de l'hiver 1934-1935. On ne peut éviter d'en donner ici la trame, que Desonay — autre Antoine Blondin — enrichira comme on va voir. Les journaux du 7 janvier rapportaient :

Le match Standard-Antwerp, qui s'annonçait comme particulièrement attrayant, a été arrêté dix-huit minutes après la reprise, l'arbitre estimant, non sans raison, ne plus pouvoir diriger le jeu dans des conditions normales.

En effet :

Un accrochage entre R[ené] Ledent et Van Worms, d'abord, et un autre encore entre F[rançois] Ledent et le même joueur anversois, ensuite, vinrent troubler totalement une partie qui s'annonçait très belle.
   L'Anversois riposta par une gifle…

Le lecteur soucieux d'authenticité et amateur de faits divers voudra bien contrôler dans le journal La Meuse de janvier-février 1935 la concordance des faits rapportés par Desonay, jusqu'au jet d'orange qui conclut le premier épisode, en attendant l'infâme punition, imposée au Standard, de jouer le match contre le Beerschot à bureaux fermés. Au moins l'épisode satisferait-il d'une certaine manière à la conception de Bertolt Brecht écrivant : «Je suis pour le sport s'il est risqué (malsain), non cultivé (pas socialement acceptable) et s'il est une fin en soi[10].» Mais l'intérêt de Desonay pour les jeux du stade, dont témoigne aussi l'évocation de l'attaquant-vedette du Standard Jean Capelle, suggère une autre référence. C. Vanderpelen-Diagre a mentionné le petit volume intitulé Fascisme anno X paru aux Éditions Rex en 1932. Un passage de celui-ci est consacré à une cérémonie sportive au stade Mussolini[11]. L'antique vitalité romaine s'y donne en spectacle, dans les gradins comme sur la palestre. Vers les sièges restés vides se ruent les Avanguardistes, «galopins peu coquets» qui représentent la giovinezza de la chanson, «disciplinée sans excès», même quand elle s'ordonne en «chœurs affreux». Sur la piste, les athlètes répondent aux vœux d'un maître pour qui tout doit aller au plus vite.

J'ai vu défiler les jeunes Orviétanes qui ont bien de l'allure et le front ceint d'un diadème blanc; les gymnastes bronzés qui gagnent à abandonner, pour la foulée élastique, ce pas de parade comiquement tendu. Le spectacle va se dérouler à la bersagliere : toutes les reprises au trot, et nulle pause. Le Duce les regarde : ceux qui font, aux anneaux, la grenouille; les discoboles, rivaux du grand frère de marbre; les sauteurs à la perche, qui s'écrasent sous ses yeux, et dont l'ultime quadruplette franchit avec aisance les 2 m. 60. Les lanceurs de javelot, héritiers des légionnaires, plantent dans le gazon une forêt de piques tremblantes. Vingt mille gosses applaudissent, sifflent, protestent, encouragent…

Retour à Liège et aux Feuillets. Dans le déchaînement viril — «tempête de cris, de vociférations, de sifflets rageurs» — que suscite l'exclusion par l'arbitre de la vedette du Standard, il y a bien quelque chose de cette énergie latine qu'exalte la politique du Duce, chez qui, déclarait Desonay en 1932, «l'impérialisme, volonté de puissance», est d'abord «signe de vitalité humaine[12]». «Goethe n'a pas vu sous un autre jour son Faust conquérant et vainqueur[13].» Les Liégeois du stade de Sclessin ne sont pas moins avides et enragés de victoire. Mais la compétition s'y déroule dans un «cirque lépreux». L'honneur n'y est pas moins engagé. Mais les affrontements musculaires y donnent parfois lieu à un «dénouement de carnaval», ou «d'opérette», sur «un geste de théâtre», de «vaudeville». La foule prend ici «quelque chose de touchant». Reste l'image d'un Standard «magnifique et inconstant», de l'«équipe la plus fantasque et la plus sympathique» : «c'est ainsi que nous sommes à Liége».

Un autre sujet de chronique unit les Feuillets à certaines pages Fascisme, anno10. Que penser d'une politique urbanistique, d'une modernité qui exigent la destruction de pans entiers du passé?
   Dans le cas de Rome, la marche mussolinienne du progrès paraissait imposer d'inévitables sacrifices. «Le plan d'urbanisme a ses exigences. Les fouilles font leurs victimes» Mais les regrets suivaient aussitôt. La promenade de l'anno X faisaient naître tant de souvenirs. «Qu'ils m'ont donc bouleversé la Rome de 1922! Rasées ces maisonnettes qui ceinturaient la cuvette trajane, paradis des chats. Je ne reconnais plus ni la place d'où partait l'autobus sans ressorts pour les Catacombes de Saint-Calliste, ni l'escalier qui montait au Quirinal. Les voûtes des Marchés m'écrasent[14].» L'esthétique, déjà, est heurtée : «à notre goût, la plupart des constructions neuves sont laides» Mais la «foi proprement admirable» qui semble porter l'Italie vers l'avenir peut en outre devenir «le signe d'un certain déséquilibre dont il faut redouter les excès».

La politique de construction intensive semble avoir atteint, si l'on peut dire, le point de saturation. (…) Le phénomène n'est pas propre à Rome, à l'Italie. Mais à Rome comme ailleurs, les mêmes causes produisent les mêmes effets. D'autre part, la manie de voir tout en grand — le plus long tunnel, le plus haut obélisque, la plus large autostrade — pousse les Italiens, déjà prompts à l'emphase, à perdre, au profit d'un néo-colossal, le sens de la mesure.

Écrivant sur Liège, Desonay se souvient de l'expérience romaine. «San Benito», saint «patron de l'urbanisme de 1935», «n'a que sarcasmes pour les admirateurs attardés d'une Rome romantique et pouilleuse». «La lessive qui jaunit aux fenêtres sans rideaux d'une Suburre sans soleil ne vaut pas les oriflammes du stade fasciste, modernisme [sic], cubique.» Voilà la doctrine. La réalité locale est celle de «l'auberge du Cheval Blanc» que ne verront plus les «amants du Vieux-Liège» parce que les «édiles urbanistes» et la «Commission d'hygiène» ont décidé de faire disparaître «les vieilles maisons qui formaient le fond du Marché-aux-Fruits, quai de la Goffe». D'un côté, décrétait le premier Feuillet : il est, dans les villes, des «grains de beauté» qui «sont, d'aventure, des verrues». De l'autre, proteste le troisième, restent «les droits du pittoresque et de la tradition». Comment celle-ci ne chanterait-elle pas plus haut que ne parlent les «édiles», quand, sur la Batte, se fredonne le Léyîz-m' plorer de Defrecheux?

Le deuxième Feuillet porte sur les associations culturelles locales, après que le premier ait fièrement annoncé : «Liége n'est pas capitale spirituelle. On chercherait en vain un café littéraire», etc. Notons d'abord que cette image peu flatteuse n'a guère à envier au compte rendu qu'établissait Desonay pour l'Italie du début des années trente[15].

La dictature n'est pas un climat propice à l'éclosion des œuvres de l'esprit. La glorieuse exception d'un Chateaubriand, d'ailleurs fort mal en cour, confirme une règle d'airain. Pour ce qui regarde le fascisme, la carence des littérateurs a quelque chose de navrant. Les fêtes du Decennale n'ont provoqué, dans l'Italie mussolinienne, que des poèmes «de circonstance». Encore faut-il déplorer la pauvreté d'inspiration chez les pires épigones d'une Giosuè Carducci. (…) Marinetti lui-même, de l'Académie et futuriste, fait consister le génie nouveau dans un mélange de grandiose, de pratique et de véloce. Il insiste surtout sur cette praticità qu'engendre la vitesse. La poésie s'en trouve infiniment moins bien que la fabrication à la chaîne, dans les usines Fiat, d'un moteur «standardisé» ou d'un châssis de carrosserie.

Pour ce qui est des Sociétés liégeoises de diffusion de la culture, on laisse au lecteur le soin d'en apprécier ci-dessous — vu d'en haut — le panorama moqueur. Il faut pourtant suivre quelques instants la ligne politique, parfois dessinée en pointillé, qui traverse la satire. Le propos des Conférences Franklin est «fort sympathique». Tout à trac, Albert Counson se trouve appelé à la barre pour estimer combien est opportunément allégué le «patronage laïque, scientifique et républicain» de la grande figure américaine. Professeur à l'Université de Gand depuis 1907, cet érudit spécialiste de la Renaissance italienne, qui s'était fait connaître par un Dante en France. Il était à peu près chargé des mêmes matières que celles qui seront dévolues à Desonay à Liège. Il présentait avec ce dernier une autre convergence dans la mesure où son ouvrage sur la Pensée romane (1911) faisait la part belle — trop, a-t-on dit — «au christianisme et à l'esprit franciscain, à la chevalerie française, aux saints et aux clercs». Counson venait de mourir, en 1933[16].
   L'Extension, que mentionne ensuite Desonay, doit se lire : Association pour la culture et l'extension de la langue française. Celle-ci avait été fondée par Maurice Wilmotte dans la foulée de la Fédération internationale pour l'extension et la culture de la langue française, créée en 1905. Il suffira de rappeler que le célèbre médiéviste liégeois était de tendance «libérale progressiste», ce qui doit expliquer en partie les lignes acides, consacrées par Desonay, à une Société offrant davantage sa tribune «aux généraux, aux anciens ministres, aux prélats» qu'aux écrivains. Notre critique ne manquera pas de relever qu'on déploie toute la pompe des grandes manifestations quand il s'agit d'accueillir une personnalité de gauche et un militant de la laïcité comme Édouard Herriot. Celui-ci représentait alors le parti radical dans les cabinets composites de Doumergue, Flandin et Laval (1934-1935). On peut imaginer Herriot faisant partager aux auditeurs liégeois son expérience récente d'une Ukraine quelque peu embellie, transformée pour la circonstance, à son intention, en décor de théâtre par les autorités russes.
   Mais on ne déroule pas moins le tapis rouge aux adversaires des précédents, quand il s'indique. René Benjamin est devenu un habitué des séances de l'Extension : l'homme, collaborateur de l'Action française, venait d'exalter Maurras (1932), avant de s'attacher à Mussolini (1938) et Pétain (1941).
   Aux Amitiés françaises, troisième association épinglée, «la tripe jacobine se porte bien».

Les A.F. de Liège, écrit C. Lanneau[17] , sont les plus anciennes de Belgique. Elles ont été fondées en 1909 par un groupe d'intellectuels, de journalistes et de responsables politiques, souvent socialistes et libéraux, dont certains sont encore actifs en 1944, comme l'écrivain Charles Delchevalerie, le peintre et dessinateur Jacques Ochs, l'ancien député libéral Émile Jennissen ou le journaliste et échevin de l'instruction publique Olympe Gilbart.

De ces fondateurs, Desonay cite d'abord Jennissen, militant wallon, fédéraliste et républicain (Liège, 1882-1949). Considéré comme trop peu représentatif du mouvement libéral ou trop wallon, ce franc-maçon se verra fermer le poste de ministre par Léopold III[18]. Le qualifier de «Jeune-Turc» en 1935 (Jennissen avait plus de cinquante ans) est flatteur. Auguste Buisseret (Beauraing, 1888-1965) méritait davantage ce titre. Il partageait les opinions libérales progressistes, régionalistes, anti-fascistes et anti-rexistes du précédent. Il était à Liège échevin des Finances et des Secteurs industriels (1934-1937)[19]. Rien qui puisse adoucir vraiment le regard de F. Desonay. Que celui-ci ait participé aux affrontements qu'il évoque ensuite, à propos de l'affaire Joseph Caillaux, ne fait guère de doute.
   Autre membre du Cartel des gauches, avec Herriot, cet homme politique français avait, comme on le sait, défrayé la chronique en 1914 lorsque son épouse Henriette, excédée par la campagne de dénigrement dont il faisait l'objet, avait abattu le directeur du Figaro, Gaston Calmette. Habile en matière de finances, Caillaux présidait au Sénat, depuis 1932, la commission chargée de celles-ci. Cette année-là, son invitation aux Amitiés françaises de Liège donna lieu au «grabuge» dont se souvient Desonay, en tant que témoin placé au premier rang des «calottins de l'Université», qui manifestèrent contre l'annonce de sa venue. Un articulet de Ouest-Éclair. Journal républicain du matin, en date du 28 février 1932, rapporte les faits.

Liège, 27 février. — Hier soir, la jeunesse fasciste a hué devant le Conservatoire les organisateurs d'une conférence que Monsieur Joseph Caillaux devait faire à Liège, sous les auspices des Amitiés Françaises.
   Après avoir été refoulés par la police, les manifestants se sont rendus devant le domicile de M. Jennissen, député libéral, où ils ont brisé une porte et des vitres.
   Les jeunes fascistes se sont alors rendus au temple évangélique, où un Allemand, M. Hartmann, faisait un sermon. Le prédicateur a été traîné dans la rue et roué de coups. Il a dû être transporté à l'hôpital. Pendant toute la soirée et toute la nuit, les manifestations se sont renouvelées.

Rendons la parole à Desonay. «Tapages diurnes», en effet — mais «homériques»? Le Feuillet poursuit : «L'Express y alla d'un couplet bien senti sur les Eliacins de sacristie» : mot désignant à la fois les partisans du vrai Dieu, par référence à un personnage d'Athalie, et des révoltés contre la dérive et l'anarchie sociales. On supposera que le traitement réservé au pasteur Hartmann visait la déviation idolâtre que constituait l'Église réformée. On était loin des élégantes remontrances de Bossuet dans les Variations des églises protestantes.
   De Caillaux, «conférencier au crâne ponceau» (l'adjectif renvoie, paraît-il, à la couleur rouge du coquelicot), Desonay passe à la «bombe Frot». Membre de l'Union des gauches radicales et socialistes, Eugène Frot avait un peu trop fréquenté les allées du pouvoir, depuis 1932, quand, devenu pour quelques jours ministre de l'Intérieur du gouvernement Daladier, il réprima au prix du sang une manifestation en février 1934. Cité ensuite, Gaston Bergery nous ramène au parti radical et à Herriot, dont il avait été le directeur de cabinet au ministère des Affaires étrangères. Il avait fondé le Front commun contre le fascisme, contre la guerre et pour la justice sociale[20]. Ce qui ne l'empêcha pas, comme Frot par ailleurs, de voter en 1940 les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, et même, remarquable pirouette, d'en appeler à un «ordre nouveau, autoritaire, national, social, anticommuniste et antiploutocratique[21]». Réunion des contraires, confusion des genres, entre littérature et politique. Se plongeant dans la vie populaire liégeoise, Desonay écrit : «Il faudrait un Coppée pour chanter les dimanches sur la Batte.» François Édouard Joachim Coppée, anti-dreyfusard, aimait les pauvres gens mais détestait le parlementarisme. La «poésie de la rue et des humbles» s'accommode assez aisément de l'ultra-nationalisme anti-démocratique. Mentionné à propos de Frot, Henri Béraud, collaborateur au journal de droite Gringoire, lui apportait, sans attirance particulière pour l'Allemagne, sa tendance pro-fasciste. «Ils y viendront tous!», écrit Desonay en parlant de l'invitation adressée par les cercles liégeois à ceux de la «goche».

Comment conclure sur un tel bouillonnement, un tel «grabuge» d'idées et d'idéaux, où l'invention d'un homme nouveau baigne souvent dans un mélange d'esprit populaire, de volonté de rigueur intellectuelle et d'élitisme mondain? On retrouvera sans doute ces tensions, portées à l'état de contradictions, dans ce que Desonay désigne, dans Fascisme anno 10 comme une des «idées-forces» appelées à fonder cet homme nouveau.

«Intellectuel» est un vocable suspect, taré d'orgueil ésotérique et maçonnique. La culture, dès lors qu'elle tend à elle comme à sa fin, devient une sorte d'argenterie réservée à flatter les goûts égoïstes de ceux-là seuls qui en font usage. Enfin, il faut rompre le cercle étroit des cénacles, abattre les murs aveugles des chapelles; parce que les idées sont faites pour circuler, pour rayonner, et que le peuple entend prendre sa part des conquêtes et des joies de l'esprit — qui n'est pas un monopole[22].

On pourrait en rester là. Sans une première question qui demanderait réponse. Pourquoi F. Desonay abandonne-t-il la rubrique des Feuillets de Liége? Celle-ci sera reprise par Gille Anthelme, qui n'était pas un inconnu au bataillon des amis de Georges Poulet. Il avait créé une douzaine d'années auparavant, avec celui-ci et Robert Denoël, la revue Créer, qui bénéficiait de l'apport artistique d'Auguste Mambour[23]. Par ailleurs, le numéro du 13 juillet 1935 de Cassandre proposait un «premier bilan» du journal sous le titre «Après sept mois d'activité». Tous les collaborateurs de celui-ci se trouvaient mentionnés, sauf Desonay.
   D'où peut provenir ce qui ressemble beaucoup à un éloignement? Il va de soi que le périodique offrait dès le départ des articles ne se contentant pas d'afficher une idéologie radicalement droitière. Le racisme n'était, dans certains cas, jamais loin. Georges Poulet pouvait bien débattre avec Alfred Duchesne, autre collaborateur de Cassandre, en lui reprochant de ne pas mesurer, par «libéralisme intellectuel», «le degré d'aversion» que méritait le système démocratique (Encore plus «à droite». Encore plus «révolutionnaire», 2 février 1935). Duchesne, au terme d'interminables discussions sur La race dans la civilisation (23 mars), n'en ouvrait pas moins la porte aux vertus de l'eugénisme[24]. Paul Colin donnait son portrait de Gobineau. (Dans six mois, les «Lois de Nuremberg» interdiraient le mariage entre aryens et juifs, lesquels ne pouvaient plus, depuis 1933, travailler dans les universités ou obtenir d'emploi dans la fonction publique). L'attrait de l'Allemagne prend bientôt la forme d'une fascination qu'exprime l'Anversois Marlier. Telle de ses chroniques présente «un excellent exemple de littérature nationale-socialiste», telle autre invite les «élites intellectuelles» à «se réconcilier avec Hitler» dans la mesure où «les incursions du Führer dans le domaine de l'art», révélant un goût «déplorable», «n'en sont pas moins salutaires».

Un article, ici, fait autrement tache. Sur quatre colonnes, René Chassart — dont la carrière d'auteur ne s'arrêtera pas dans l'après-guerre — apporte dans la livraison du 2 mars 1935 sa Petite contribution à l'histoire contemporaine, intitulée : Quand Israël fait des affaires. Un paragraphe commence par : «Il n'est pas sans intérêt d'observer les agissements des Juifs parmi nous. Leur propension naturelle à la fraude s'exerce à notre détriment avec un plaisir habilement dissimulé», etc.
   Que pouvait inspirer l'évolution idéologico-nationaliste qui se dessinait à celui qui avait connu — plus d'une quinzaine d'années auparavant, il est vrai — la prison allemande? Le glissement de Cassandre était-il de nature à détacher de lui ce qui se profilait, dans le nazisme, de rupture avec les valeurs chrétiennes[25]? On a vu comment une conception romaine de celles-ci pouvait s'en prendre à la dissidence réformée. Plus prosaïquement, mais de manière non moins prospective, était-ce le réarmement de l'Allemagne, à la mi-mars 1933, qui réactivait l'anti-germanisme de l'étudiant d'autrefois? On voudrait que là réside l'abandon des Feuillets de Liége. Un autre journal apporte ici une ombre singulière à une telle projection.
   L'Action wallonne, créée peu avant Cassandre, en 1933, fut à l'époque un des principaux périodiques de revendication régionaliste et de propagande en faveur d'un resserrement des liens avec la France. Si le principal rédacteur en chef fut l'échevin liégeois Auguste Buisseret, personnalité libérale fortement engagée dans le combat antifasciste et antirexiste, le journal se voulait politiquement très ouvert. S'y côtoyaient le catholique Englebert Renier, François Bovesse et Jean Rey, Georges Truffaut, Fernand Dehousse, Marcel Thiry sous le pseudonyme de Martin Thiriard, etc. Dans son numéro du 15 février 1938, l'Action wallonne publiait, sous le titre Un nouveau Machiavel, un billet anonyme consacré au «professeur Desonay».

Sous un regard myope ourlé de cils de jeune fille, ce jeune homme cache un arrivisme effréné. Il s'est mis dans la tête qu'il serait un jour le Machiavel de la dictature en Belgique. Il multiplie, à cette fin, discours, articles et conférences. Et il vient de publier un ouvrage sur Léopold II, où apparaît ce «sens de la grandeur» qui fait, en ce moment, tourner la tête à tant de gens.
   Or, dans les premiers temps, Fernand Desonay avait misé sur le rexisme. Il accordait à l'hebdomadaire Rex sa précieuse collaboration. Mais, un beau jour, elle cessa. Lequel des deux en eut le premier assez de l'autre? On n'en sait rien. Toujours est-il qu'après une sorte d'idylle avec le joli professeur, Rex eut bientôt en lui un ennemi déclaré qui reporta ses feux — vengeance ou dépit — sur la Légion nationale.

Un mois plus tard, l'Action wallonne se devait de publier un autre billet sous le titre …les démentis. On ne peut que le reproduire tel quel.

M. Fernand Desonay n'a pas été content — mais là, pas content du tout! — des lignes que nous avons consacrées ici à sa blonde et gracieuse personne.
   Il est modeste, que voulez-vous, ce jeune homme. Il déteste faire parler de soi.
   Malgré nous, nous sommes pourtant forcés d'y revenir encore.
   Car il n'est pas possible de passer sous silence la dernière manifestation de son génie.
   C'était à un meeting de la Légion nationale en faveur du gouvernement de Burgos.
   Le professeur y prononçait un discours où il attaquait vigoureusement les «catholiques de gauche».
   – Je songe, s'écria-t-il tout à coup, à ce sinistre individu qui a nom François Mauriac, cet auteur de romans pour collégiens pustuleux. Moi, un homme comme celui-là, je lui crache mon mépris à la face.
   Ça, c'est tapé, hein!
   Et si ces paroles sont jamais parvenues à l'oreille de l'auteur du Nœud de vipères, il doit se sentir bien embêté. Pensez donc! Le mépris de Fernand Desonay, mais c'est écrasant! Il y a de quoi passer des nuits et des nuits sans sommeil. Et rien, ni l'admiration des lettrés, ni l'académie, ni aucun honneur ne peut compenser un désastre pareil.

Nul doute que «le professeur» eût, en styliste exigeant, corrigé l'une ou l'autre formule de la philippique, si l'occasion lui en avait été donnée. Son hostilité à l'égard de Mauriac n'était pas neuve. C. Vanderpelen-Diagre signale qu'il avait, dès la réception de l'écrivain à l'Académie française en 1933, dénoncé un romancier de «seconde zone» faisant commerce de la «malsaine curiosité des sales pensées[26]». On était loin, avec celui-ci, du paradis perdu des amours et des amitiés enfantines du Grand Meaulnes.

Endosser le lin blanc de l'innocence et de la foi juvénile garantissait au militant chrétien bien des tribulations, dans ces temps de déchirements que furent les années trente. Desonay ne pouvait y échapper. C. Vanderpelen-Diagre, qui ne mentionne pas l'article de l'Action wallonne, conclut pour sa part que, «d'une manière symptomatique, les plus ardents défenseurs de la réaction maurrassienne ne sont que très peu tentés par l'Ordre nouveau imposé par les nazis en 1940». «Pierre Nothomb, Paul Dresse, Fernand Desonay, Jean Valschaerts, Marcel de Corte ou Luc Hommel ont une attitude irréprochable pendant l'Occupation.» À la différence de «Henry Bauchau, Jean Libert, Marcel Dehaye ou Louis Carette», qui, «engagés avant-guerre dans des mouvances très critiques vis-à-vis des postulats maurrassiens et séduits par des positions plus progressistes, devront s'expliquer devant les tribunaux de la Libération[27]».

*

[Premier Feuillet, Cassandre, première année, 1,
1er déc. 1934]

J'ai toujours rêvé d'une géographie sentimentale. Les noms de villes donneraient des pincements de cœur. Tout le long de la rivière, fleuriraient les valérianes et les souvenirs d'aveux tendres. J'enrage quand mon voisin de table me raconte son périple de la Bonne Auberge. Mais il y a ceux qui viennent à Liège pour déguster le boudin blanc et la crêpe de Noël!
   Sur mon atlas du cœur, Liége, ma bonne ville, serait représentée par un percepteur de tramway. Le trolleybus va tuer le rail[28]. Qu'attendent nos édiles, eux qui ont réhabilité Tchantchèt et son nez fripon, la botteresse et sa hottée de propos drus et crus, pour élever, entre Charlemagne et le Perron, au percepteur courtois, affable, galantin, une statue[29]?…
   Les Liégeois sont un peu les enfants gâtés de la Belgique. Ils le savent bien, péchère! Et comme ils s'entendent, larrons sympathiques, à vivre sur leur réputation. Or, cette renommée, à qui la devons-nous, sinon aux aimables automédons[30] des Tramways Unifiés et du Liège-Seraing? Dès le débarqué, à peine la placette des Guillemins évoque-t-elle, sous les yeux du voyageur, l'image de la petite ville de province, la Prévenance en uniforme vous agrippe : on ne vous lâchera plus.
   Mais si la politesse est vertu royale, il y a, dans une certaine chaleur d'accueil, toutes les menaces du servage. Vous demandez la route à un policeman anversois. Il est casqué de feutre et bardé de superbe. Les bras en aile de moulin, il articule un renseignement comminatoire. Vous vous excusez de la liberté grande, et vous foulez l'asphalte du boulevard d'une semelle timide… mais libre.
   À Liége, le quidam que vous interrogez sur les musées de sa ville natale, l'heure des messes du dimanche ou l'adresse du rôtisseur, s'arroge un droit de regard sur votre intimité. Le percepteur de tram se distingue entre tous dans cette surenchère à la courtoisie. Comme son képi l'attache à sa voiture, comme il n'a pas la ressource de se détourner de son chemin pour vous faire la preuve, la preuve de sa gentillesse liégeoise, il tient à vous dédommager par toutes sortes de considérations sur le brouillard, les rhumatismes de son collègue, les chances d'avenir du gouvernement, le dernier billet de Vautel[31], l'inflation, le Standard, le prix du gaz, Berthe Bovy[32]. Si vous trainez par la main votre mioche de neveu, attendez-vous à un interrogatoire en règle. Car l'aimable percepteur met sa coquetterie à chatouiller l'amour-propre des familles.
   – Est-ce à vous, dont, ce beau p'tit crollé là?
   Le «beau p'tit crollé» est, d'aventure, d'humeur maussade. Le nez sur la vitre, il piaille, incivil. La robe de sa voisine est, pour lui, paillasson. Débonnaire, indulgent, souriant, paternel, le percepteur fait risette. Mais c'est ainsi qu'une population entière, par la grâce de ce sourire, entre dans la géographie sentimentale avec tous les honneurs qui sont dus aux suprêmes défenseurs de la courtoisie exaspérante.
   … Et bien, oui, j'exagère…
   Mais le percepteur de tram, sans avoir lu Rostand, pense que, «pour le principe et pour l'exemple aussi», il est bon d'incliner le képi côté cœur.
   Liège n'est pas capitale spirituelle. On y chercherait en vain un café littéraire, le salon où l'on cause. Les revues n'y meurent point, pour la raison suffisante que nul ne se donne la peine de les y faire naître. Au risque de contrister de dignes plumitifs, il faut avouer que la presse, dans son ensemble, est tout juste digne d'une sous-préfecture. L'Université n'occupe le public que dans la mesure où il est permis à Monsieur-Tout-le-Monde de dire son sentiment sur le béton armé, sur les nominations de la Loge (ma chère!) ou de l'Evêché (très vénérable frère!). Le Conservatoire, institution sacro-sainte et matrimoniale, renouvelle, chaque saison, sa clientèle de jeunes personnes à «sortir». Mais qu'un Menuhin, qu'un Horowitz soient à l'affiche, force est aux organisateurs de céder, la veille du concert, la moitié des places à demi-tarif à tous les industriels du bassin ayant fait peindre leur femme (double menton, triple rang de perles), il ne reste plus aux paysagistes qu'à planter le chevalet dans le parc du château.
   Le Liégeois, né content, s'étonne de ces banderilles : «Nous autres, les Parisiens de la Belgique!...» Et il est reconnaissant au Français qui — politesse pour politesse — feint d'avoir humé, sous les marronniers du square d'Avroy, l'air subtil des Champs-Elysées.
   Reste le vieux percepteur du tram 3. Quand il y avait un tram 3! C'était le bon temps. Le matériel tanguait, vétuste. Un trajet Louvrex-Cathédrale évoquait une traversée Ostende-Douvres[33]. Tels les Indiens Sioux qui communiquent par signaux optiques, les conducteurs d'un croisement à l'autre échangeaient galamment le mot de «passe». Mais il y avait, pour charmer les loisirs et meubler les arrêts, la conversation pleine de sens du vieux percepteur. Et l'on voudrait être, en son honneur, ce Francis Jammes qui fit pousser une fleur de pervenche entre les doigts de pied du facteur rural.
   C'est au percepteur que je pense, au moment d'écrire ce premier billet. S'il est vrai que les Liégeois jouissent, par tout le pays, d'une sorte d'immunité qu'ils ne méritent pas tous, que joue en leur faveur la clause de la cité la plus favorisée, n'est-ce pas l'occasion de nous tourner vers le percepteur dans un sentiment de reconnaissance et de confusion? Nous lui devons d'être accueillis par un sourire où il y a déjà plus que de la sympathie, de rencontrer autour de nous l'atmosphère qui fait chaud au cœur. Parce qu'il a distribué ses billets, rendu la monnaie avec philosophie, parce qu'il n'a jamais bougonné, parce que se plate-forme était accueillantes aux lessives, aux crosses de fusils que porte sur l'épaule l'armurier en chambre, au voyageur obèse et en surnombre, parce qu'il piquait, en avril, du lilas sous le galon doré et, en décembre un brin de gui, le percepteur a retardé le règne du mufle.
   La gentillesse, quel luxe encombrant! Mais la goujaterie, Madame, quelle affaire, comme on dit à Liège!


[Deuxième Feuillet, Cassandre, première année, 5,
29 déc. 1934]

Dans mon premier billet, consacré au percepteur du tram 3, j'ai négligé au paragraphe des divertissements intellectuels de mes concitoyens les conférences. C'est pour mieux les vanter, mon enfant!…
   La conférence est au Liégeois ce que la truffe est à Barrabas (ainsi se nomme, chez Paul Arène[34], le cochon du grand saint Antoine). Les Bruxellois, mégalomanes et mauvais coucheurs, prétendent bien que la conférence a été «inventée» pour eux, par un certain Deschanel qui, entre autres initiatives, lança dans la circulation un futur Président de la République[35]. Mais il en va de la carafe et du verre d'eau sucrée comme de la poudre à canon, du parapluie et de l'épingle de nourrice : les adopter, c'est mieux.
   À Liège, les conférences sont légion. Monsieur l'Inspecteur, Monsieur le Comptable en chef, Monsieur l'Abbé, Monsieur le Professeur doivent avoir la langue bien pendue pour n'être pas admis, à tout le moins une fois l'an, aux honneurs des trois marches, aux blandices du tapis vert.

Il y a, tout d'abord, les Conférences Franklin[36]. Elles vont fêter leur soixantième anniversaire. C'est fort sympathique. Pourquoi Franklin? Par pour le paratonnerre, bien sûr. Mais la Science du bonhomme Richard demeure le vade-mecum des universités populaires. Albert Counson eût été ravi de ce patronage laïque, scientifique et républicain. L'attrait des conférences Franklin réside dans la partie récréative et surtout dans la tombola. Mme Dussane[37] avait l'habitude, quand elle conférenciait avec Yvette Guilbert[38], de rappeler la chanson-scie : «La Chanteuse et le Conférencier» (la première faisant avaler le second[39]). Aux conférences Franklin, les auditeurs sont toujours assurés de terminer leur après-midi en gaité. Il faut louer la sagesse des organisateurs. «La Paix chez soi[40]» , «le Document chinois» ou «Asile de nuit[41]» offrent une sorte de garantie contre les vertus somnifères du parleur inconnu. Pour la tombola, on y gagne aussi des livres. J'aime mieux la coutume de nos bonnes sociétés de province. Et je me souviendrai toujours de cette conférence-tombola — mettons à Fouilly-les-Dindes — où le premier prix consistait, ad libitum, en une casserole ou un jambon.

À l'étage supérieur, nous trouvons les deux organismes rivaux : l'Extension et les Amitiés françaises.
   L'Extension se propose, comme son nom l'indique, de reculer (Barrrès, à nous), vers la Germania, les marches de l'Est[42]. Les «ambassadeurs de l'esprit français» y défilent au rythme de hui à dix par saison, un peu comme le cortège de la Juive. C'est-à-dire que, sur la liste des invités, M. René Benjamin est déjà près de dix fois nommé[43]. M. Maurice Wilmotte apportait dans l'établissement du programme cet éclectisme académique en vertu duquel les écrivains sont sacrifiés aux généraux, aux anciens ministres, aux prélats. Cette respectable tradition n'a garde de se perdre. Sa Grandeur et Son Excellence continuent de sévir. Il faut donner aux amateurs d'autographes l'occasion d'enrichir leur carnet. Quand le ténor est di primo cartello, s'il s'appelle Herriot, par exemple, la salle académique de l'Université est, décidément, trop mesquine. On émigre au Conservatoire. Cela fait une soirée de gala.
   Les Amitiés françaises sont de «goche». La tripe jacobine se porte bien à Liège. Jennissen et Buisseret seraient les derniers des Jeunes-Turcs. Pour scandaliser le bourgeois, ils piquent, de temps en temps, leur petite crise de radicalisme. Cela ne va pas sans grabuge. Il y a deux ou trois ans, l'affiche qui annonçait Ton-Jo (Joseph Caillaux) fut le signal de tapages homériques et diurnes. Les «calottins» de l'Université mirent la police sur les dents. L'Express y alla d'un couplet bien senti sur les Eliacins de sacristie. En attendant, le conférencier au crâne ponceau jugea plus prudent de ne pas franchir cet autre Rubicon : il envoyé sa bénédiction radicale et une lettre d'excuses.
   Les Liégeois sont coutumiers de ce genre d'alertes. Cette année, ce fut la bombe Frot. Mais le bouc du boucher (comme dirait Béraud) n'eut pas à frétiller devant les bonnes gens d'amon nos aûtes. J'ai souvenance — mais, ici, les Amitiés françaises sont tout à fait hors cause — d'avoir vu, sur les murs, il n'y a pas un mois, un placard sang de bœuf qui faisait prévoir une conférence de Bergery. Ils y viendront tous! Le placard a disparu sous la brosse du badigeonneur. L'homme de Mantes a sans doute renoncé à venir plaider, chez les Liégeois, sa demande reconventionnelle : «Je ne suis pas fils d'Allemand… je suis un authentique héros…»
   Je me hâte d'ajouter qu'il arrive aux Amitiés françaises d'inviter des hôtes de choix.

À l'Extension, c'est autre chose. M. de Bethune est le plus distingué des «producers». Sa cravate-plastron est, à elle seule, un signe de bonne tenue. Les «réceptions» ont quelque chose de discret et de mondain. Dans un hôtel du boulevard, — tapis moelleux, portraits dédicacés, livres savants dans les vitrines grillagées, — l'aristocratie industrielle du bassin écoute un conférencier qui a beaucoup d'étiquettes sur ses valises. Car il s'agit, neuf fois sur dix, d'un voyageur qui vient de loin. Et qui aurait beau mentir, si les projections lumineuses ne confirmaient, sur l'écran, la leçon de ses petits papiers.

Enfin, les conférences universitaires. Défuntes, hélas! Versons un pleur.
   C'est toute une histoire. Or donc, la Ville de Liège et l'Université organisaient, chaque hiver, une série de cours publics et parfaitement gratuits. Il n'en coûtait pas un liard pour venir recueillir, trois fois par semaine, la manne scientifique. Le programme était dosé avec un éclectisme souriant. Aujourd'hui, la syphilis tertiaire; demain, les roches éruptives de l'Afrique centrale; puis le Râmâyana, le pape Sixte-Quint, le vers solitaire chez le nourrisson, etc. Les conférenciers bénévoles se partageaient un succès de tout repos. Succès qui dépendait, dans une certaine mesure, des conditions atmosphériques et de la lanterne magique. Si l'auditoire était clairsemé, M. Émile, concierge-appariteur, consolait le solitaire:
   – C'est qu'il fait froid, ce soir… et puis vous n'avez pas de projections!
   Aux deux premières travées, le public des fidèles faisait une «hémicouronne» que nul sujet, quelque aride fût-il, ne pouvait entamer.
   Mais la Ville de Liège est endettée. Et la Ville de Liège intervenait dans les frais de chauffage et d'éclairage de la salle académique. Cela devait s'élever à une somme colossale. Pensez-donc : trois conférences par semaine pendant trois mois d'hiver! Le budget accusant un déficit de quelques millions, on a, d'un trait de plume — trait d'atticisme — biffé le crédit des conférences universitaires.

Quand je vous disais que Liège devait surtout compter sur le «binamé» percepteur du tram 3!


[Troisième Feuillet, Cassandre, deuxième année, 5,
2 févr. 1935]

Les gens de Huy ont leur «pontia[44]» , les Nivellois la querelle de l'obélisque[45], les Namurois leur marchand de fromage. À Liége, nous avons le Standard. À Liége, ou plutôt à Sclessin. Dans ce crique lépreux de corons, de terrils, quel Victor Hugo (un Noël Ruet est, décidément, trop pâle) chantera les exploits agonistiques de nos diables «roûches»?
   Un match au Standard est un «event» local, comme disent ces anglophiles de la tribune centrale. Le bourgmestre d'Ougrée fait partie du comité sportif[46]; et le recteur de l'Université ne rate pas un coup d'envoi[47]. On aura beau dire : cela vous pose un sport! Les chauffeurs de taxis comptent sur l'après-midi du dimanche pour équilibrer le budget des cigarettes. Et si les trams verts, de bourlinguante mémoire, viennent d'être remplacés par de confortables automotrices, c'est que les recettes bi-mensuelles sur le trajet «Place du Théâtre-Stade» autorisent tous les décaissements.
   Comme l'équipe du Standard est la seule qui «officie» (le terme est consacré) en divion d'honneur, l'honneur wallon, l'honneur liégeois se trouve engagé dans la bagarre. Et M. Delchevalerie[48] vous dirait, bien mieux que moi, à quel point cet honneur est chatouilleux et qu'un hidalgo de Castille, auprès d'un journaliste de la Fédération Liége-Luxembourg, n'est, révérence parler, qu'un Pédeloup.
   Cette équipe porte-drapeau — le drapeau au coq hardy — a ses vedettes, pour ne point dire ses tabous. L'affaire Capelle a divisé, divise encore l'opinion : et d'excellents amis se sont brouillés, sur les gradins du stade, parce qu'ils n'étaient pas tombés d'accord sur la politique du comité de sélection touchant le poste d'avant-centre[49]. Capelle est un charmant garçon, qui poursuit, fort brillamment, ma foi! ses études de droit. Ce qui, par parenthèse, fournit un exemplum de choix aux fidèles de M. Lippens et de l'éducation physique : mens sana in corpore sano[50]. Le futur avocat jouait du ballon rond, tout comme maître Tschoffen se joue du vocabulaire psychopathique[51]. C'est pourquoi il avait porté, dans l'équipe nationale, l'écusson au lion de Belgique. Et le coq hardy de coqueriquer, haut et clair. La disgrâce est venue. Et elle est venue de Sclessin. Tant il est vrai que les meilleurs ne sont jamais honorés chez leurs proches. Mais le public liégeois n'a rien compris au déboulonnage de son idole. Le Standard sans Capelle, c'est, pour la masse des supporters, un corps sans âme, une dinde sans truffes, un bourgogne sans bouquet.
   Le chauvinisme des spectateurs sportifs est un mal nécessaire. Les Anglais, qui ont inventé le «fair play» — le mot, mais point la chose — en sont, sur le chapitre des applaudissements et des huées, au même point que nous. Le public de Wimbledon, aristocratique et glacé, fait une exception, somme toute peu sympathique. Parlez-moi de ces belles Madrilènes à l'œil noir qui jettent, sur le sable encore fumant du sang des chevaux étripés, peignes et sourires, œillets poivrés et promesses d'amour! À Sclessin, le Standard doit gagner. C'est une tradition. Les parieurs vous diraient qu'il part à 5 contre 1. Malheureusement, à cette règle de la suprématie locale, il arrive, une ou deux fois par saison, qu'une équipe «visiteuse» (autre terme consacré) inflige le plus cruel des démentis. Le public, un instant décontenancé, cherche l'explication, une excuse. L'excuse est toute trouvée : elle porte en général, culottes courtes et bas de sport : l'arbitre.
   L'arbitre joue sur les grounds de football, le rôle de commissaire au théâtre de Guignol. Le sifflet, dont il lui arrive de tirer de péremptoires injonctions, est bien l'insigne de son grade. Car onques cabotin, méchant pitre, nouveau Montfleury ne fut plus copieusement sifflé. D'ordinaire, au Standard, les manifestations en restent là. Le public est satisfait quand il a agrémenté ce concert sibilant d'épithètes variées qui vont à «arbitr' di choucoulôt» à «mâssî Flamind». Mais voici que, par deux fois, la conduite de Grenoble qu'on fait à l'arbitre rentrant au vestiaire menace de dégénérer en une sorte d'émeute. Deux fois, à l'occasion de la venue du Football Club Malinois et de l'Antwerp, l'arbitre, assiégé dans le local réservé aux officiels, n'a dû son salut (?) qu'à une longue patience.
   L'affaire de l'Antwerp a eu son dénouement de carnaval. Pour un accrochage assez sec, l'arbitre avait exclu, d'autorité, le nouveau capitaine de l'équipe wallonne. Comme le joueur anversois, victime du coup de pied, avait riposté illico par une maîtresse gifle, les spectateurs — logiquement, il faut en convenir — hurlèrent à l'arbitr…aire. Et ce fut, à partir de la vingtième minute de jeu, autour du ground enfiévré, le plus assourdissant des concerts. Dans cette tempête de cris, de vociférations, de sifflets rageurs, le malheureux arbitre perdit le peu de sang-froid qui pouvait lui rester. À la mi-temps, il fallut le protéger, par une sorte de tunnel treillissé, contre la vindicte des tribunes. Mais les trous du treillis laissaient passer les crachats. Et le jeu avait à peine recommencé qu'il devint évident que nous étions en Amérique. De football, il n'en était plus questions. Les équipiers ne songeaient qu'à la bagarre; et les fautes les plus brutales étaient saluées d'applaudissements … ce qu'on appelle l'esprit sportif! D'autre part, l'arbitre n'osait plus s'aventurer aux abords des lignes de touche : ni plus ni moins qu'à Binche, un mardi-gras, les oranges, vers ce «Djille l'èwaré», pleuvaient. Le match fut arrêté sur un geste de théâtre. Un projectile doré, juteux, tout rond, ayant frôlé son chef sacro-saint, l'arbitre… le mit en poche, tout simplement, et renvoya les équipes à la douche. Cette orange de Sclessin, elle figurera sur le tapis vert de la commission d'enquête de l'Union belge. Mais le public liégeois ne voulait rien savoir.
   Obstinés, forts en gueule, par centaines, par milliers peut-être, les partisans des «Rouches» assiégeaient les vestiaires. Au demeurant, la mansuétude de la foule a quelque chose de touchant. Et ce Monsieur Staelens (ainsi se nommait l'arbitre conspué) a manqué de psychologie, c'est-à-dire qu'il a manqué de cran. Au lieu de se terrer, comme un lapin de garenne, de se cacher, de plaider coupable, que ne sortait-il, tête haute, la fameuse orange à la main? Pas un Liégeois, j'en suis sûr, n'aurait frappé cet homme seul, seul contre tous. Mais nous avons, en wallon, une épithète un peu crue pour désigner les trembleurs et ce pleutre : «couyon, va!».
   Mais ce dénouement d'opérette? On ne fait pas mieux au vaudeville. Tremblant, suant de peur et pressé par l'heure du train, l'arbitre en fut réduit à endosser l'uniforme du commissaire de police. Sous le képi galonné d'argent, il n'avait plus un poil de sec. Les assiégeants, pour laisser passer Monsieur le Commissaire, firent la haie. Une excellente scène pour la prochaine revue du Trocadéro!
   Car c'est ainsi que nous sommes à Liége : chauvins et respectueux, mauvais caractère et bon cœur. Et ce Standard, magnifique et inconstant, qui collectionne les trophées et les vestes, imbattable aujourd'hui, demain objet de risée, équipe la plus fantasque et la plus sympathique, supportera les plus chauds et les plus prompts au découragement, le parfait thermomètre que voilà de la température de chez nous[52]!


[Quatrième Feuillet, Cassandre, deuxième année,
16 mars 1935 : Coin classé]

Je suis un type dans le genre de Montaigne. Cela veut dire que j'ai un ami qui s'appelle La Béotie. Pour défendre la cité du Perron, bafouée par un métèque de Petit-Rechain[53], il sonne le ralliement des Liégeois unanimes, dans un pamphlet vengeur qui s'intitulerait fort bien le Contr'un. Il y a tout profit à lire cette prose indignée où, pour reprendre ses propres termes, à «frayer ce fils de Notger». J'ai voulu, à sa suite, faire à travers Liége, ma bonne ville, une promenade archéologique autant qu'expiatoire. Nous parlerons donc aujourd'hui, si vous voulez bien, d'un «coin classé».
   Ce coin classé est aux rives de Meuse, quai de la Goffe. C'est là que, ce dimanche matin, tandis que je rêvais au sujet d'une chronique, un reporter de l'I.N.R. a planté son micro. Car les villes, comme les visages, ont leurs grains de beauté. Qui sont, d'aventure, des verrues. Le Liégeois flâneur et sensible ne manque jamais d'égarer ses pas du côté de cette Batte animée qui vaut, dans son pittoresque joli, pour ses odeurs, ses cris, pour sa patine, tous les vicoli de Gênes ou bien de Naples.
   Or voici que la querelle de l'urbanisme dresse les uns contre les autres partisans et adversaires de S. M. la Pioche. L'édilité liégeoise a fait procéder à la démolition des vieilles maisons qui formaient le fond du Marché-aux-Fruits, quai de la Goffe. Des palissades lépreuses cachent aux regards des amants du Vieux-Liége ce qui fut la façade de l'auberge du Cheval Blanc[54]. Pendant que des cars frétés par une agence de tourisme débarquent, chaque soir, sur l'asphalte du boulevard Emile Jacqmain, les provinciaux avides de l'opérette tyrolienne[55], le pic des démolisseurs achève de dévaster ce coin classé par mon ami La Béotie.
   Certes, les protestations n'ont pas manqué. Toutes les sociétés archéologiques ont confié à leur secrétaire le soin de mettre noir su blanc un ordre du jour impératif et imprécatoire. Mais on sait que l'urbanisme ne s'embarrasse point de ces scrupules d'un autre âge. L'urbanisme de 1935 a son patron : San Benito. Benito Mussolini n'a que sarcasmes pour les admirateurs attardés d'une Rome romantique et pouilleuse. La lessive qui jaunit aux fenêtres sans rideaux d'une Suburre sans soleil ne vaut pas les oriflammes du stade fasciste, modernisme, cubique. Pour en revenir au quai de la Goffe, nul doute que le délabrement du Marche-aux-Fruits n'exigeât des mesures de restauration. Mais, en archéologie comme en philologie, les excès des restaurateurs sont plus à redouter que l'injure du temps. Viollet-le-Duc n'est pas mort. Il parle — fort doctement, ma foi! — par la bouche de Xavier Neujean, maïeur et avocat d'une assez mauvaise cause. La Commission des Monuments et des Sites n'est pas convaincue. Elle relève, pieusement, l'acanthe en ruine, ni plus ni moins que dans un sonnet des Trophées. Et voilà comment, dirait La Béotie, «le culte instinctif du beau réagit», amon nos-z-aûtes.

Les camelots et chalands qui encombrent la Goffe et la Batte, ce dimanche de février, ne songent guère, il faut bien l'avouer, à la querelle de l'urbanisme. La consigne est de chanter. Et l'index-number n'a qu'à bien se tenir.
   Qui veut se consoler des pitreries de Milton, comique gâteux sans le savoir, prendra, chez le chanteur de Mary-Lou, des leçons de style et d'humour[56]. Les vingt-cinq mélodies pour deux francs feront le répertoire du cousin Mimile, celui-là qui, au dessert, est toujours prêt à pousser la sienne. L'accompagnement est de choix. Des accordéonistes mettent, sous le parasol à quartiers, des reflets de nacre et des réminiscences de la rue Lappe[57]. Le violon a des fantaisies de ténor pour récital. Le public fait cercle, battant la mesure et la semelle. Toutes les pommes d'Adam vont et viennent, sous le bouton de col. Seuls, protestent — à leur manière — les toutous de l'échoppe voisine. Quant aux canaris, il y a longtemps qu'ils se sont résignés à ne plus opposer aux flonflons les coin-coins.
   Ce marché de la Batte est comme un Zoo sans les fauves. Perruches et pigeonneaux, lapins blancs et poissons rouges. Tristan Derème y trouverait, chaque dimanche, un nouveau cyprin pour Carco. On se demande seulement par quels prodiges de prestesse et d'équilibre les acheteurs éventuels arrivent à sortir leur bocal de cette mer humaine et joyeuse et déferlante.
   La vie chère serait-elle vaincue? M. Fernand Baudhuin[58] et ses statistiques ont menti. Sur la Batte, le 24 février 1935, la conjoncture me paraît réjouissante. On donne les bretelles; les cravates se vendent à la douzaine; pour 1 franc, vous pouvez vous offrir, ad libitum, cent grammes de pralines à la liqueur, une touffe de muguets artificiels, une année complète de Je sais tout, trois mètres de dentelle, Sainte Thérèse dans son cadre, de la pâte à rasoir, la réglisse de Bamboula ou la guimauve pour gencives tendres. Seuls, sont au prix marqué les billets de la Tombola de l'Exposition de Bruxelles[59]. Mais je vous jure bien que, si la Worlds-fair était à Liége, les revendeurs de la Batte proposeraient la chance à demi-tarif!
   Sur tout ce brouhaha sympathique la maison Havard penche sa façade d'ardoises. Elle, du moins, maintient, contre vents et marées, en dépit des édiles urbanistes et de la Commission d'hygiène, les droits du pittoresque et de la tradition. Du haut de son encorbellement, plusieurs siècles contemplent le bon peuple des dimanches. Et l'on entend passer, dans l'air proche de la demeure qu'habita Defrêcheux, des refrains de crâmignons, la ritournelle de Léym' plorer

Ce matin-là, d'ailleurs, les Liégeois avaient le droit d'être heureux. Grâce à Hubert Delacolette, le valeureux maïeur d'Ougrée, ils continuaient de faire bonne figure dans l'histoire révolutionnaire.
   J'ai dit, dans un billet précédent, la colère épique des supporters du Standard Football Club. Et comment deux mille fanatiques déchaînés avaient contraint à une fuite honteuse, dans le cirque de Sclessin, un arbitre gantois et partial. Les lauriers-cerises de l'apothicaire Coelst empêchaient-ils Delacolette de dormir? Toujours est-il qu'une affiche comminatoire interdit le match de football Standard-Beerschot qui, par décision de l'Union Belge, devait se jouer à bureaux fermés. Il faudrait un Coppée pour chanter les dimanches sur la Batte. Pour commenter les attendus de Hubert Delacolette, il faudrait un Courteline. Tout y est, y compris l'appel aux coupe-choux. «Aux armes, policiers de ma commune d'Ougrée!»
   Le Standard perd dans l'aventure les deux points du match. Mais c'est ainsi qu'un député faraud et fort en gueule prépare sa réélection de maïeur démocrate-chrétien dans un faubourg rouge.


NOTES

[1] M. GOSLAR, «Les coulisses d'une élection», Bon-à-tirer 129, 1er avril 2010. Je remercie M. Collart, collaboratrice de l'Université de Liège, d'avoir cherché à mon intention diverses informations dont il est fait état ci-dessous.
[2] Écrire en Belgique sous le regard de Dieu : la littérature catholique belge dans l'entre-deux-guerres, Bruxelles : Ed. Complexe et CEGES, 2004, p. 104-105.
[3] Cass., 19 janvier 1935, n° 3.
[4] Cass., 26 janvier 1935, n° 4.
[5] «J'ai accompagné / le long des haies / matinales / le facteur rural…» (Dimanche des rameaux, dans De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir).
[6] Francis JAMMES, Le triomphe de la vie. 1900-1901 : Jean de Noarrieu. Existences, chap. 2, 1902, p. 107 - BiblioLife, 2009.
[7] Des vers manuscrits de ceux-ci ouvrent «en fac-similé» son recueil L'Escarpolette fleurie (Bruxelles : R. Simonson et Liège : J. Mawet; impr. de Bénard, 1925).
[8] Sans parler du statut qui était alors celui de Ruet, honoré en 1929 d'un ouvrage d'Études, poèmes et témoignages où figuraient les signatures de Marie Gevers, Hubert Krains, Georges Marlow, Albert Mockel, Jean Tousseul, Georges Virres, etc. Voir aussi la vente des archives de Noël Ruet à la librairie Michel Lhomme (Liège), le 4 novembre 2000 et le 31 mars 2001 (www.michel-lhomme.com/fr_archives.php).
[9] En 1934. Premier titre d'une série où figureront L'Escargot bleu, La Tortue indigo, L'Onagre orangé et La Libellule violette.
[10] «Ich bin für den Sport well und solange der Sport riskant (ungesund), unkultiviert (nicht gesellschaftsfähig) und selbstzweck ist» (cité par E. VANDEN EYNDE, «Le sport dans la littérature moderne», Sport. Revue de l'éducation physique, des sports et de la vie en plein air du Ministère de l'Éducation nationale et de la Culture, 1968. Résumé dans www.aafla.org/OlympicInformationCenter/RevueOlympique
/1968/ORF11/ORF11l.pdf

[11] P. 49 sv.
[12] P. 9.
[13] Mussolini, à cet égard, apparaît comme un «monomane de l'action, serait-on tenté d'écrire» : «de l'action patriotique et, comme il dit volontiers, totalitaire». Alors que Maurras n'est jamais qu'un «monomane de la pensée».
[14] P. 15.
[15] P. 99 sv.
[16] Notice de l'Académie royale de Langue et de Littérature françaises - www.arllfb.be/composition/membres/counson.html.
[17] L'inconnue française. La France et les Belges francophones (1944-1945), Bruxelles : P. Lang, 2008, p. 535.
[18] fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Jennissen
[19] fr.wikipedia.org/wiki/Auguste_Buisseret
[20] fr.wikipedia.org/wiki/Gaston_Bergery
[21] Ibidem.
[22] P. 101-102.
[23] Voir Fr. DE HAES, «Dominique Rolin et le pays natal (2/2). Les années avec Robert Denoël», Bon-à-tirer 19, 15 mars 2005.
[24] «Déjà beaucoup de gens considèrent comme immorales et mêmes criminelles certaines unions d'hommes et de femmes tarés physiquement et qui ne peuvent engendrer que des enfants physiquement déficients et voués à tous les malheurs.»
[25] Son article «Hitlérisme et catholicisme» de la Revue catholique des idées et des faits de 1937 est cité par C. Vanderpelen-Diagre p. 265.
[26] P. 148, citant l'article de Desonay intitulé «La réception de François Mauriac àl'Académie française», dans la Revue catholique des idées et des faits, 24 déc. 1933, p. 9-10.
[27] Voir «L'autre style de Henry Bauchau», Exigence littérature, 15 juillet 2008 - www.e-litterature.net/publier2/spip/spip.php?article633.
[28] L'apparition des trolleybus à Liège marque les années 1930. La première ligne, unissant la place Cathédrale à Cointe, remonte à 1930. Mais le mouvement s'accélère en 1934 : voir J.-G. GODEAUX et al., Les tramways du pays de Liège. T. 3. Liège au fil des trolleybus, Liège : Ed. du GTF A.S.B.L., 2001 - www.trams-trolleybus.be/Trolleybus7_1.html.
[29] F. D. se réfère à diverses statues bien connues : celle de Charlemagne par Louis Jehotte au boulevard d'Avroy, les représentations, encore récentes, des hotteuses sur la fontaine dite de la Tradition, place du Marché, et la statue de Tchantchès aujourd'hui en Outremeuse. L'idée de cette dernière remontait à 1914. Après que le projet ait été suspendu pendant plusieurs années, une souscription lancée par Jules Bosmant, conservateur du Musée des Beaux-Arts, permit de réaliser en bronze, en 1931, le modèle conçu par Joseph Zomers. Le monument n'était pas encore installé à l'époque où écrit F.D. Sa réalisation fut décidée par Georges Truffaut et l'inauguration eut lieu en septembre 1936.
[30] «Cocher, chauffeur, voiturier» (vieilli).
[31] Né à Tournai en 1876, Clément Vaulet gagna Paris à vingt ans et entra au service de divers journaux (Le Charivari, La Liberté, Gil Blas, etc.). Bientôt naturalisé français, il prit le nom de Clément Vautel. F. D. se réfère sans doute ici à la chronique quotidienne, très prisée du public, qu'il donnait depuis la fin de la première guerre sous le titre «Mon Film» au Journal.
[32] Originaire de Cheratte, près de Liège, la fille de l'auteur du Tchant dès Walons était alors à l'affiche d'Un soir à la Comédie française, court-métrage de Léonce Perret (1934). On sait qu'elle était entrée à la Comédie-Française près de trente ans auparavant.
[33] Le trolleybus assurant la ligne 23, des Guillemins à la Batte, remplaça en mai 1934 le tram 3 (op. cit.).
[34] Fondateur du Félibrige parisien, lié avec plusieurs écrivains de droite, il se voit parfois attribuer la rédaction d'une partie des Lettres de mon moulin.
[35] Émile Deschanel, républicain français de gauche (voir Catholicisme et socialisme, 1850), avait connu l'exil en 1851. Son fils Paul, né à Schaerbeek en 1855, devint président de la République en 1920.
[36] Fondée en 1865, la Société Franklin, de tendance libérale, visait à donner à l'homme du peuple «le goût de l'instruction, et avec lui l'esprit d'ordre, d'économie et le désir d'améliorer sa position». Ses séances du dimanche après-midi furent très fréquentées et de nombreux cercles locaux virent le jour dans la région de Liège et de Verviers. Voir M. MOUREAU, La Société Franklin à Liège, 1865-1878, mémoire de l'U.C.L., 1978 et J. LORY, Les Sociétés d'éducation populaire de tendance libérale, 1860-1880, http://www.flw.ugent.be/btng-rbhc/pdf/BTNG-RBHC,%2010,%201979,%201-2,%20pp%20217-254.pdf.
[37] Béatrix Dussane (1888-1969), actrice, sociétaire de la Comédie française, connue pour ses conférences et ses interventions dans la presse.
[38] Inutile d'insister sur la personnalité de celle qui séduisit Freud et Proust, sinon pour rappeler qu'elle entretint au moins deux liens avec la Belgique : sa mère, Julie Librez, était d'origine flamande et Yvette Guilbert ouvrit à la fin de sa vie une école de chant à Bruxelles.
[39] Le titre a été repris par Catherine Sauvage.
[40] Cette comédie de Courteline (1903) met en scène un homme de lettres qui, dès l'apparition, s'échine à terminer sa copie : «Encore trente lignes sensationnelles, dont une vingtaine d'alinéas, une décoction de points suspensifs et une coupure à effet pour finir; si, avec cela, le lecteur ne se déclare pas satisfait, il pourra s'aller coucher.» Desonay devait reconnaître le métier.
[41] Comédie de Max Maurey (1905).
[42] L'Association pour la culture et l'extension de la langue française avait été fondée sous l'impulsion de Maurice Wilmotte, dans la foulée de la création de la Fédération internationale pour l'extension et la culture de la langue française, «qui est sa grande œuvre» (1905). Célèbre médiéviste de l'Université de sa ville natale et personnalité de tendance «libérale progressiste», Wilmotte avait été admis à l'éméritat en 1931.
[43] Il peut paraître étonnant que Desonay évoque cavalièrement un collaborateur de l'Action française, qui encense Maurras en 1932, (avec d'exalter Pétain en 1948 comme en 1941).
[44] Le pontia ou pont de Huy : une des quatre «merveilles» de la ville, avec le tchèstia , le château, le bassinia, la fontaine de la place du Marché, et le rondia, le vitrail de la collégiale. Les terminaisons en –ia, significatives du changement que connaît le dialecte en remontant la Meuse, sont ici porteuses d'une connotation de moquerie, dans la bouche du locuteur liégeois qui emploie des formes en –ê. Aussi bien les quatre termes censés désigner les fleurons hutois ne trouvent-ils pas tous un correspondant réel dans le parler du cru.
[45] Cette obélisque en pierre bleue est associée à l'une des fontaines de la ville. Surmontant un socle à quatre mascarons-cracheurs, elle fut édifiée au milieu du XIXe siècle à la place de l'ancienne fontaine située en face de l'Hôtel de Ville de Nivelles. La «querelle de l'obélisque» fait allusion aux embarras de circulation qu'elle entraînait et aux déplacements dont elle fut plusieurs fois l'objet. Elle fut en outre brisée à l'occasion de l'un de ceux-ci et elle est réputée donner une impression d'instabilité en raison des quatre cylindres de fonte qui la supportent et qui, comme l'écrit le guide touristique de la ville, «sont comme des boulets de canon associés à un symbole de victoire». Le monument se trouve aujourd'hui sur le site de l'ancienne église des saints Jean et Nicolas.
[46] Hubert Delacolette, bourgmestre d'Ougrée de février 1933 à décembre 1938. Voir ci-dessous.
[47] Le médecin Jules Duesberg, recteur de l'Université de 1927 à 1939. Celui-ci, proposé par le roi au poste de ministre de l'Instruction publique, se vit opposer par les libéraux son appartenance marquée au parti catholique, «Madame Duesberg allant à la messe» (J. VANWELKENHUYZEN, Le gâchis des années 30. 1933-1937, Racine, t. I, 2008, p. 291). Duesberg occupa cette fonction à la veille de la guerre.
[48] Militant wallon, fondateur de la Vie wallonne en 1920 (Couillet 1872-1950).Il venait de publier Autour du Perron . Images liégeoises (1932) et Petite France de Meuse (1933). Voir J. SERVAIS, notice «Charles Delchevalerie», Biographie nationale de Belgique, 39, 1976, p. 248-257.
[49] Jean Capelle (Sclessin 1913-1977) a été un des attaquants du Standard de 1929 à 1944. Il a été déclaré le «meilleur buteur du Standard de tous les temps» et le «huitième meilleur buteur belge», au palmarès d'une discipline où triomphent réellement les meilleurs. Il avait participé à plus de trente matchs avec l'équipe nationale, marquant près de vingt buts. Il fait encore figure de véritable légende du sport belge (Standard. Cent ans de passion, Euro Images Productions, 1998, pp. 119-120; fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Capelle).
[50] Le comte Maurice Lippens (Gand, 1875-1956), personnalité du Parti Libéral, fut, de 1932 à 1934, ministre des Sciences et des Arts, département renommé Instruction publique à la suite de divisions opposant, sur la question linguistique, les représentants libéraux aux membres catholiques du cabinet de Charles de Broqueville (L. RANIERI, notice «Maurice Lippens», Nouvelle biographie nationale, 4, 1997, p. 256-60). Élu président du Sénat de 1934 à 1936, M. Lippens offrait une figure de mécène susceptible d'attirer les faveurs de l'écrivain. Un mois après la publication du Feuillet de Liège du 2 février, était constitué sous sa présidence le «Fonds Bibliothèque Albert Ier», à l'origine de l'actuelle Bibliothèque royale. Il porta également sur les fonts baptismaux, peu après, l'Academia Belgica de Rome.
[51] Paul Tschoffen (Dinant, 1878-Liège, 1961) avait commencé à occuper le devant de la scène comme avocat dans des procès d'assises qui passionnèrent l'opinion publique. Il défendit notamment son concitoyen Jules Lissoir lors d'une affaire qui occupa les colonnes de la presse française. La fille de Lissoir avait épousé un marchand de charbon anversois nommé Van den Vorst. «Lasse des sévices dont elle était victime et aussi de l'inconduite de son mari», comme l'écrit l'Ouest-Eclair du 8 décembre 1934, la jeune femme avait demandé le divorce. Le mari n'en supporta pas la perspective et tua son épouse «de cinq coups de revolver». Condamné à vingt ans de réclusion, Van den Vorst bénéficia d'une réduction de peine et s'installa en France. Lissoir, qui n'avait jamais abandonné l'idée de se venger, retrouva son gendre et, à son tour, l'exécuta de cinq balles. P. Tschoffen assura sa défense devant les assises de la Seine, contre Maurice Garçon qui était constitué partie civile. Les 8 et 9 décembre 1934, les journaux liégeois annonçaient l'acquittement de Lissoir. On comprend qu'il ait été dit couramment, dans les couloirs du Palais de Justice de Liège : «Tschoffen, il-åreût fé tchoûler 'ne pîre» («Tschoffen, il aurait fait pleurer une pierre»). De là, peut-être, le talent que lui prête F. D. en matière de «vocabulaire psychopathique». Membre du parti catholique, l'avocat fut député dès 1919, puis sénateur, et occupa bientôt diverses fonctions ministérielles, dont celle de ministre des Colonies de 1932 à 1934. Il dirigeait par ailleurs la Revue belge.
[52] Le Standard fut troisième du championnat de Belgique en 1933-34 et vice-champion en 1935-36. Mais après son accession en première division, en 1921, il se trouva parfois menacé de relégation.
[53] Il peut s'agir de Desonay lui-même, né, dit-on, à Stembert, localité voisine. L'attaque franche menée dans le premier Feuillet contre Liège, qui n'a rien d'une «capitale spirituelle», a dû échauffer quelques oreilles. Mais on n'a pu identifier l'ouvrage en question.
[54] On mentionne, formant l'angle avec l'ancienne rue Sur le Mont, qui reliait le quai de la Goffe à la rue Féronstrée, une maison enseignée du Cheval Blanc, qui abritait depuis le moyen âge une brassinne (Th. GOBERT, Liège à travers les âges, Bruxelles : Ed. Culture et Civilisation, 1976, t. 5, p. 412).
[55] L'adaptation française de l'Auberge du Cheval Blanc datait de 1932.
[56] S'agit-il de Mary-Lou d'Odilon Rochon (1927), qu'interprète un des artistes-forains de la Batte?
[57] Rue du quartier de la Bastille célèbre pour ses bistrots, bals et cabarets.
[58] Fernand Baudhuin (Wanfercée-Baulet, 1894-Louvain, 1977) était à l'époque professeur à la Faculté de Droit de l'Université Catholique de Louvain et se trouvait chargé de diverses missions auprès des ministres de l'Industrie et du Travail (1933) ou des Finances (1934). Il fut notamment, à ce titre, membre du Conseil supérieur des Statistiques. Il assura à la Libre Belgique, «sans interruption de 1931 à 1977 (sauf pendant les années de guerre où le journal n'a pas paru) un éditorial économique hebdomadaire qui faisait autorité». C'est donc une figure ayant dominé pendant presque un demi-siècle la pensée économique belge qu'évoque ici F. D. (J. ZEEGERS, notice «Fernand Baudhuin» dans Nouvelle biographie nationale, 4, 1997, p. 34-36).
[59] Celle-ci fut inaugurée le 27 avril 1935. Le roi y vit l'annonce «de temps meilleurs» et l'occasion de faire circuler dans l'économie mondiale «un peu d'air frais», par un rassemblement «dans l'ordre moral» (bruxellesanecdotique.skynetblogs.be/archive
/2010/02/21/expo-de-bruxelles-1935.html
).

 

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