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LOLA ET LE POÈTE
Un poète envoie des cartes postales à Lola. De tous les lieux où il arpente les colloques, il lui signale qu'il l'attend, qu'il l'invite, qu'il la prie de le rejoindre, qu'il lui promet un séjour merveilleux dans la ville qu'il découvre.Parfois il fait même signer sa compagne du moment, le message alors se fait anodin, Venise est belle sous la pluie, Tu aimerais Amsterdam, Berlin t'attend. De retour de Venise, d'Amsterdam ou de Berlin, le poète appelle Lola tôt le matin, quand il pense que Karl dort encore et il pense bien, il pense avec sa cervelle de mâle qui n'ignore rien des pièges du harcèlement sélectif. Tout fait farine à son petit moulin. Son agenda du jour porte plusieurs noms de femmes, il connaît l'heure fragile de chacune et s'en sert. La plupart sont ses égales s'agissant de la fonction, de la force de travail, de l'intelligence, mais la plupart croient encore à la bonté et c'est là qu'intervient le poète : chacune de ses interventions s'assortit d'une manipulation sentimentale, d'un élan d'enfant perdu, et d'une réciprocité imaginée avec tant de despotisme, dans son orgueil de mâle-enfant, de tout-petit-tout-puissant, qu'elle met en branle une fois pour toutes la mécanique fidèle du harcèlement matinal. Qui m'a aimé m'aimera, ainsi pense le poète, veillant sur son harem, en escomptant les bénéfices, car l'une travaille au ministère des Arts et des Lettres, l'autre connaît un attaché d'Ambassade, la troisième est mariée à un organisateur d'événements, la quatrième a une naïveté baisable et un profil de muse. Chacune de ces femmes, jeune ou vieille, est sa confidente, à chacune il se livre dans une exclusivité largement partagée. Aucune d'entre elles, maternelles comme seules peuvent l'être celles qui ont couché par bonté, putes donc par destin, par compassion congénitale, ne révélera ce qu'elle sait, aucune ne trahira le secret, chacune se sentira honorée, à défaut d'être émue, par le harcèlement qui occupe l'heure fragile, tu es la seule à laquelle je puis dire cela, tu es la seule qui puisse le comprendre, je suis bouleversé de te connaître, pouvons-nous nous voir, quand? aujourd'hui? maintenant? quand tu veux
Copyright © Caroline Lamarche, 2004 |