LE JOUR OÙ J'AI COMMENCÉ LA RÉTICENCE
C'était un matin d'octobre, ou de novembre, l'arrière-saison, le temps était encore clair, et j'étais depuis quelques jours dans ce village que, dans le livre, j'appellerai Sasuelo, avec l'idée de commencer un roman. J'avais fini le montage de mon film Monsieur depuis quelques semaines, et je ne savais encore rien du nouveau livre que je projetais d'écrire, si ce n'est que je parlerais de mon fils. Je venais d'avoir un fils, Jean, né en mars 1989, il avait six ou sept mois, et j'avais décidé de marquer l'importance que sa naissance avait prise dans ma vie en m'inspirant de lui pour en faire un des personnages du roman. J'avais même trouvé la première phrase : "Je vais vous parler de mon fils, je pense que ça peut vous intéresser." J'étais donc là à tourner et retourner les premières pages de ce livre, où il était question de mon fils, de sa poussette, de son phoque en peluche, et, premier élément de narration bientôt établi, d'un carnet d'adresses que quelqu'un avait égaré et que le narrateur allait trouver. Or, un matin que j'avais délaissé mon travail pour aller prendre l'air, empêtré dans les difficultés habituelles de la mise en route d'un roman (je récrivais en permanence les premières pages et revenais sans cesse en arrière, signe avant-coureur des immenses difficultés qui m'attendraient avec ce livre), je me suis promené dans le village et j'ai découvert un chat mort dans le port. Copyright © Jean-Philippe Toussaint, 2002 |