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UNE LANGUE INOUÏE
Le Belge n'a pas de langue propre.
Le Belge n'a pas de langue maternelle.
C'est un paria, un exclu, un orphelin du langage.
Babel, babil, babeleer, broubeleer, bruxelleir.
Le problème du Belge, c'est de parler français.
En Belgique, le français est une langue étrangère.
Car le français, «méthodique et précis», instruit la pensée.
Or, la langue, en Belgique, rencontre peu la pensée
Le Belge n'a point d'attrait pour une pensée sérieuse.
Il aime le concret, le vrai, le familier, le pesant, le trivial, le plein, le goûteux, l'organique.
Les mots belges disent autre chose que ce qu'ils disent.
Ils ont certes un sens premier.
Mais sont sans portée seconde.
Le sens émane d'abord du son.
Le néologisme belge est essentiel.
Il ouvre l'accès à l'insensé.
Le rôle de l'écrivain belge est d'inventer sa langue plutôt que de parler la langue commune, c'est-à-dire le «bon» français, qui sied aux Français.
Le sabir belge échappe à toute logique.
La langue belge est insoumise, incorrecte et très gaffeuse.
Elle est l'exact contraire d'un flux limpide, juste et pondéré.
Le Belge pâtit d'un abcès sur la langue comme celui qui tortura tant Christian Dotremont.
Le Belge, taiseux, n'est pas un beau phraseur.
Le Belge s'exprime par ouï-dire.
La langue cacophone définit son territoire.
Le Français a la langue bien pendue.
Le Belge a la langue bien fendue.
Le Belge? Une langue de peintre!
Le Belge est une langue morte
Tue et, partant, tuée.
Dès son orée.
Le Belge ne prend pas la parole.
Il la rend.
Qu'importe donc comment en France on dit mon nom!
J'écris en belge, si je veux.
Je sens en flamand, malgré moi.
Mais je pense en français. Et je reste filialement attaché à la langue belge, renégate des illères, ouillée, mal ouïe, ointe d'ouillouillouilles, parce qu'on n'oublie pas la langue qui parle en soi.
Copyright © Patrick Roegiers, 2007
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