Bon-a-tirer est une revue littéraire diffusant en ligne, en version intégrale des textes courts originaux et inédits écrits spécialement pour le Web par des écrivains actuels principalement de langue française.






 
QUELQUEFOIS LES TOX ONT DES CHIENS

Quelquefois les tox ont des chiens
jaunes qui les tirent en ville
qui fendent la foule pour eux
en grognant que voici leur maître

Quelquefois les tox font la manche
pour nourrir ces chiens disent-ils

Ils dorment serrés l'un à l'autre
dans des salles de pas perdus
embrassés se bavant dessus
fidèles à la chaleur des yeux

Avec ces chiens tenus contre eux
ils se rassemblent pour fumer
ou pour se réchauffer J'ignore
pourquoi les tox prennent des chiens
comment ils font pour les nourrir
ces chiens qui vous montrent leurs dents
jaunes menaces de blessure
comment font-ils pour les nourrir ?

Quelquefois les tox dont les chiens
aboient contre certains dealers
de jaunes menaces de morsures
savent les calmer de la voix
ou d'une caresse très tendre

Quelquefois ces tox et leurs chiens
prennent des trains vers d'autres cieux
qui roulent jusqu'à Charleroi
où les attendent de l'argent
ou du travail ou des enfants

Quelquefois les tox disparaissent
ils prennent le large pour ne plus
jamais revenir disent-ils
mais des douaniers les arrêtent
qui les ramènent aux frontières

À chaque départ ils racontent
comment serait la vie là-bas
leurs yeux creux font le tour du monde
leurs bouches mentent puis renoncent
puis ils sont de retour en ville

Leurs cernes revenus de loin
guettent les marchands de torpeur
leurs voix faibles leurs bras troués
tremblent des excuses des fables

Quelquefois les toxicomanes
tendent leurs yeux comme des mains
Ces yeux ne vous regardent pas

plus que la misère du monde.

*

On lui demandait l'autre jour, publiquement et tout à trac, ses impressions de la Guinée-Bissau, où il n'avait jamais mis le pied. Sans hésiter ni préambule, il les livra. Il donna même, dans la foulée, quelques précieux conseils aux candidats voyageurs.
– «Ne craignez-vous pas, Maître, qu'un jour on les confronte et conteste vos dires?», lui demanda un auditeur, avec une morgue ironique.
– «Les confronter à quoi?», s'écria-t-il, «à d'autres souvenirs? à des guides touristiques? à des sources officielles? Ma Guinée-Bissau n'est pas la vôtre, ni non plus la Guinée de ceux qui la découvriront demain. Sachez, arrogant jeune homme, qu'il y a ici et là, de par le vaste monde, autant de lieux qu'il y a de paire d'yeux… Les leurs, les vôtres, puis les miens n'ont pas le même accent, n'ont pas le même timbre. C'est à vous seul de voir, si vous en avez le désir, le temps et le talent.»
Il baissa les paupières, jouissant de l'écho courroucé de ses paroles, soupira d'aise et reprit le rêve orgueilleux de sa vie.

*

La courgette ne se justifie pas. En aucun cas, elle ne le fera. Elle le vous dira elle-même, qu'elle n'éprouve nul besoin d'argument ou de légitimation, étant irréprochable, ontologiquement irréprochable. Qu'elle soit courte, longue, large ou fine, elle est parfaite. Si vous veniez la voir un peu trop tôt dans sa saison, et que vous la trouviez encore en fleurs, elle vous ferait asseoir à son chevet et vous prierait de patienter, simplement, sans chichis, en vous offrant un coin d'ombre et un petit verre de vin frais. N'allez pas la presser de questions, ni lui conseiller incongrûment de se hâter. Au fond, qu'est-ce que vous faites-là? Quel importun jardinier êtes-vous? Qu'attendez-vous exactement? Vous n'êtes pas là, cher Monsieur, pour ouvrir le bal des cucurbitacées et de plus la courgette s'en souviendrait s'il y avait bal et si elle vous y avait invité.

*

Les photographes s'y entendent
pour rendre belles les princesses
et montrer les princes charmants
sous la lumière la plus pure

Journaux people ou magazines
on peut en rire, on peut bien dire
qu'ils vendent du miel ou du vent
en attendant, comme on la goûte
en attendant, comme on l'espère
la promesse du prince charmant

Et comme on veut croire en l'amour
pour soi, pour l'autre, pour tous les autres
on les achète, on les dévore
on les relit, on vit avec
ces rêves sur papier glacé

C'est le plus vieux souci du monde
de trouver chaussure à son pied
alors autant se l'avouer
que nous aussi on cherche, on cherche
pour notre profit pour le sien
le profil du prince charmant

Dans les annonces, dans les boîtes
entre les lignes, entre les draps
dans les saunas, dans les dancings
entre midi et quatorze heures
sur les chats, sur les lieux de drague
sur les parkings, dans les discounts
sous les plumes de l'oiseau bleu
chacun cherche chacun cherche
l'aura le philtre le charisme
le karma du prince charmant

Filles d'Eve ou filles de joie
filles de rêve ou filles tristes
toutes en quête d'un rendez-vous
avec le prince — c'est qu'il tarde
c'est la sorcière la plus laide
qui le détient au bois dormant.

Toi aussi tu cherches tu cherches
quand tu es seule à mes côtés
et fatigué notre désir
toi aussi tu cherches tu cherches
les lèvres du prince charmant
les paroles du prince charmant
l'haleine du prince charmant

Je cherche tu cherches elle cherche
nous cherchons vous cherchez ils cherchent
pour que ce monde reste neuf
vêtu de mille et un possibles
pour que chaque jour étincelle
de l'espoir d'un prince charmant

*

Tu te souviens
d'avoir tenu un oeil de verre
toute une journée
caché dans ta bouche

Tu te rappelles avoir dansé aussi
avec un poisson sur l'épaule
à travers de longues nuits blanches

À présent
tu te sens chez toi dans tout espace
dont tes yeux ont soif
où grandit ton irrésistible
besoin de tendresse
ton besoin d'en donner
de recevoir encore
d'ici, d'ailleurs et sans mesure
la promesse de moments de douceur

Tout ce que tu possèdes tient
dans cette main d'enfant
serrée dans la tienne

S'il pleut, elle voudra jouer
à qui mouille-l'oeil
des gouttes, des larmes ou du rire

Pour que tu joues aussi, il faudrait des nuages.

 

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