Bon-a-tirer est une revue littéraire diffusant en ligne, en version intégrale des textes courts originaux et inédits écrits spécialement pour le Web par des écrivains actuels principalement de langue française.






 
SI TU ME DISAIS «VIENS»

Si tu me disais «viens»
pour arriver ponctu-
el à ton rendez-vous
à l'heure que tu veux
je prendrais un avion
un navire trois trains
puis un taxi de brousse
un chameau un pousse-pousse
le métropolitain
le 10 prioritaire en quittant son arrêt
l'ascenseur hydraulique
le vélo de ma soeur
ou son aéronef
je prendrais le ferry
un ballon dirigeable
une planche à roulette
une navette spatiale
un hydravion bancal
un tapis volant perse
un escalier roulant
pour arriver à toi

Si tu me disais «viens»
pour mieux te retrouver
je prendrais je prendrais
le temps de me faire beau
le temps de faire vite

Pour arriver ponctu-
el à ton rendez-vous
à l'heure que tu dis
si tu me disais «viens»
et que je m'en revienne
je prendrais, je prendrais
je prendrais ça très bien
que ce soit aujourd'hui
que tu me le proposes.

*

Ils sont beaux tous les deux
et ce vendredi soir
(qui se faisait attendre)
ils le jouent aux fléchettes
en buvant des cadets

Ils ont des gages Ils jouent
à qui baisera qui
chez lui ou bien chez elle
avant l'aube ou après
avec ou sans capote

Et quand son gsm
sonne et qu'elle interrompt
la partie un instant
boudeur, il recommande
une bière au comptoir
et la vide d'un trait

C'est elle qui va payer
les jeux et les boissons
et ça ne lui plaît pas
ils n'ont guère le choix
Elle va le lui payer

Elle a trop bu Elle parle
fort, à la cantonade
et dans son téléphone
Elle ne sait plus trop bien
où ce vendredi soir
va terminer sa course

Et la partie reprend
chacun marque des points
Ils n'ont rien à se dire
il est dur, il grimace
il cherche du regard
si quelqu'un les observe
un arbitre un témoin
du score et du spectacle
— ils sont beaux tous les deux —
qu'ils donnent sans compter
en vitrine en sueur
dans la nuit qui galope

Sous son voile de fille
soumise à tout cela
elle sourit sans joie
à l'alcool, à cet homme
à son poids de tendresse
au landau dans le bar
où dort l'enfant parfait
qui ne la juge pas.

*

Une chambre en ville
une fille fragile
un garçon gracile
un amour facile

Une main qui tremble
un oeil que démange
l'aveu qui viendra
des pas que fait fuir
la peur d'être vus
(Vois comme elle est grande
la bouche qui ment)

Peau contre peau
c'est un dimanche de pluie
un garçon une fille
se désaltèrent l'un à l'autre
à petites gorgées
La rue diffuse Jolie môme
la version de Florent Pagny

Tout s'atténue et part en transparence
et se dilue sans perte d'innocence
Ce matin
visible au miroir
une tache près de l'oreille gauche
perle de sperme ou de lumière
qui s'effacera sans peine
du revers de la main
comme cette voix qui murmure
à une fille fragile
à un garçon gracile
que la mémoire de cela est un rêve éveillé
et qu'il n'est pas d'amour facile.

*

Hier, tu ne savais pas quoi faire de ta colère
Tu la roulais en boule
tu la pliais en quatre,
tu lui tenais la main
tu ne la montrais pas
Tu finissais parfois par lui lâcher la bride,
au hasard,
par la laisser foncer au loin, à l'aveuglette,
dans le passage ou dans l'impasse

Tes amis te disaient : «deviendrais-tu méchant?»
et repassaient au ralenti
le film du trèfle à quatre feuilles
qui t'a porté chance tant que
tu croyais en tous les possibles

Avant, tu ne savais pas quoi faire de ta rage
tu la lançais au mur, tu la jouais aux dés
tu la noyais lestée du poids de tes journées
elle te revenait nue et plus sauvage encore

Aujourd'hui ta colère est plus grande que toi
elle t'a avalé
Aujourd'hui ta colère
ne sait que faire de toi.

 

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