Bon-a-tirer est une revue littéraire diffusant en ligne, en version intégrale des textes courts originaux et inédits écrits spécialement pour le Web par des écrivains actuels principalement de langue française.






 
ON A TOUJOURS LE CHOIX

ACTE I

Une ferme ancienne aménagée en atelier de céramique.
Rencontre entre Raffaele, artiste de renom, et Carlier, critique d'art chevronné.

SCÈNE
6

RAF : Ah! Je suis vraiment content de vous voir, Carlier.

CARLIER : Appelez-moi Jean.

RAF : À propos cela fait combien de temps que nous nous connaissons?

CARLIER : Le premier article que j'ai écrit sur vous…

RAF : Oui! Un bel article…Je dois encore l'avoir quelque part.

CARLIER : C'était en …

RAF : Vous avez été le premier à comprendre jusqu'où je voulais porter la céramique… Que disiez-vous déjà? Un potier qui nous relie à la terre sans oublier la lumière du ciel…Enfin, c'était mieux tourné que ça.

CARLIER : Je ne me souviens jamais des dates…

RAF : Aucune importance, Carlier.

CARLIER : Jean.

RAF : Oui, Jean.

CARLIER : Je peux reprendre un peu de whisky?

RAF : Mais, bien sûr.

CARLIER : Merci.

RAF : Dans le fond, entre vous et moi, il y a une forme de compagnonnage…

CARLIER : Euh, peut-être...

RAF : Nous n'existerions pas l'un sans l'autre... Vous m'avez été très fidèle…

CARLIER : Vous trouvez?

RAF : Oui! Quand j'ai fait cette série d'un coloris indéfinissable dont les formes dégoulinantes en heurtaient plus d'un…Vous m'avez défendu. Vous m'avez toujours défendu. Si un jour, je peux faire quelque chose pour vous, Jean, n'hésitez pas. Demandez, demandez, je vous dois bien ça.

CARLIER : Eh! Bien, je vais en profiter immédiatement.

RAF : Oui! (surpris) Ah! Bon! Que voulez-vous?

CARLIER : Je voudrais…enfin…Est-ce que je peux délacer mes chaussures?

RAF : Pardon?

CARLIER : Oui, délacer mes chaussures?

RAF : (étonné). Faites, Jean, faites.

CARLIER : J'ai acheté des chaussures neuves, ce midi, et elles me serrent un peu.

RAF : Vous n'êtes pas exigeant.

CARLIER : Allez, encore un petit whisky.

RAF : La dernière fois que nous nous sommes vus, je n'étais pas en très grande forme, n'est-ce pas?

CARLIER : On peut le dire comme ça.

RAF : Sans inspiration. Pour la première fois de ma vie!

CARLIER : Oh! Ca arrive à tous les artistes.

RAF : Je ne suis qu'un modeste artisan.

CARLIER : Et maintenant, vous vous sentez mieux?

RAF : Un peu. Je crois que j'ai une idée, un projet … Enfin, tout ça est encore… J'aimerais votre avis à ce sujet… Et votre aide.

CARLIER : Vous avez besoin de mes relations ou de ma plume?

RAF : Euh…(surpris). Les deux.

CARLIER : C'est pour cela que vous vouliez absolument me voir?

RAF : Pas seulement, Jean… Pas seulement, j'ai de l'amitié pour vous.

CARLIER : Et me faire une omelette aux truffes…

RAF : En fait, voilà : je viens d'avoir soixante ans et je sais combien l'inspiration est fluctuante… Ces dernières années n'ont pas été faciles. J'ai encore de l'énergie mais pour combien de temps? Les nouvelles générations montent au créneau. Il faut que je leur montre ce que je suis encore capable de faire.

CARLIER : Mais vous l'avez déjà montré.

RAF : Non, non, je dois marquer un grand coup. Mon nom doit fleurir en lettres d'or… C'est maintenant ou jamais, vous comprenez? Que ceci reste entre nous, bien sûr…

CARLIER : Je serai muet comme une… (Il enlève une chaussure, la fait glisser dans le vide devant lui comme si c'était un poisson)…carpe.

RAF : Je voudrais creuser un four à sept chambres, dans la colline, à côté du verger…

CARLIER : À sept chambres?

RAF : Oui! Vous voyez, en étage, comme on le faisait jadis au Japon.

CARLIER : Non, je ne vois pas.

RAF : Imaginez un bungalow de sept pièces, disposées en gradins à flan de colline. On peut en voir un à Kyoto dans l'atelier de Kawai Kanjiro.
En gradins?

RAF : On connaît mal ce genre de four en Europe. Il faut beaucoup de bois pour la cuisson, plusieurs tonnes, mais j'ai ce qu'il faut… (un petit rire gêné). Voilà! Pour le lancement, je voudrais convoquer la presse internationale de manière exceptionnelle.

CARLIER : Vous aurez le temps de vous occuper de la presse.

RAF : Je trouverai le temps. N'est-ce pas une idée originale? Et puis (sur le ton de la confidence) de cette manière, j'échappe aux commissaires d'exposition… Je ne peux plus les supporter!

CARLIER : Pardon?

RAF : Oui! Aujourd'hui ce sont les commissaires et les historiens d'art qui font la loi. Dans le domaine culturel, ils gèrent tout, donnent leur avis sur tout…Ce ne sont que des théoriciens (avec mépris) et ils passent avant les artistes! Aberrant! On les interviewe… et ils pérorent. D'une prétention! Alors, qu'est-ce que vous pensez de mon idée?

CARLIER : C'est… Euh… Ambitieux…Très ambitieux.

RAF : Il faut de l'ambition dans ce métier. Je rêve de grandes pièces délicates comme celles des maîtres chinois : des bleus subtils, des verts impalpables, des…C'est le début d'une ère nouvelle…

CARLIER : Faut oser.

RAF : C'est pour cela que j'ai besoin de votre aide. Vous travaillez toujours pour trois journaux?

CARLIER : Hélas, oui! Le journalisme ne nourrit pas son homme.

RAF : Toujours votre collaboration à cette belle revue américaine?

CARLIER : Oui!

RAF : C'est parfait!

CARLIER : Elle est spécialisée en peinture, pas en céramique…

RAF : Vous ferez bien une petite exception pour un événement inhabituel, n'est-ce pas?

CARLIER : Je verrai ce que je peux faire….

RAF : Et votre copain céramiste cherche toujours du travail?

CARLIER : Oui, ce n'est pas évident de s'imposer dans ce métier…

RAF : J'aurai besoin d'un assistant.

CARLIER : Mais, j'y pense, je pourrais peut-être vous aider autrement…

RAF : Ah! Oui?

CARLIER : Je fais partie depuis peu, d'une association internationale. Elle aide les collectionneurs, les gens fortunés, à acheter. Bien acheter. La peinture, principalement… Nous les menons dans différents ateliers…Je pourrais…

RAF : Faire un détour par la ferme avec ces visiteurs étrangers? Avec grand plaisir. Nous les inviterons à dîner, je sortirai quelques bons vins…
   S'il y a vente, je ne vous oublierai pas.

CARLIER : Mmmm…

 

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